A Bayreuth un intrus qui s'appelle Richard Wagner m'a révélée à moi même ne me permettant de répondre à l'amour sans penser à la chute. J'ai accepté l'étourdissante durée d'un instant sans retour. J'ai savouré le moment présent avec la même intensité qu'un voyageur quittant un paysage sublime qu'il ne reverra peut-être jamais.
Nous pénétrons dans le théâtre en silence. J'ai perdu de ma faconde. Je m'installe à côté de lui. A ce moment là, je croir que c'est vraiment l'homme dont j'ai gouté le sommeil que je désire? Je tremble d'émotion. La musique qui n'a pas encore commencé ne m'est plus nécessaire pour que je me sente poche de lui, même si elle nous apporte ce "supplément d'âme" délicat à définir tant il se confond avec la mystique. Mes joues sont chaudes. Je ne sais pas si nous sommes à la fin ou au commencement d'un amour. Je contemple ses cheveux un peu trop longs pour caresser son cou, j'ai envie de les relever et d'y glisser mes doigts. Mon regard est tendu vers sa nuque, son prénom résonne dans ma tête, et un leitmotiv obsédant.
Le chemin qui monte au Festspiel Haus me rappelle les calvaires bretons de mon enfance : il y manque l'océan, mais les forêts allemandes bougent comme les mers du Nord. les arbres ondulent comme des vagues. Leur saveur m'éclabousse....
Ici le temps s'arrête pour tout le monde. Tout paraît codifié selon un rituel que l'on s'approprie facilement...
Avec le retour de l'or du Rhin, il m'est permis de verser des larmes sans connaitre le désespoir. J'éprouve la richesse de ces personnages en conservant leurs émotions, même après la tombée du rideau. J'essaie de me rassurer : une fois l'exaltation tombée, je redeviendrai moi-même, je n'aurai pas de cicatrices.
Entre temps, Wagner a opéré chez moi la transformation de tous mes sens. Maintenant je ne vois plus seulement avec mes yeux, j'ai l'impression que Fasolt m'a prêté les siens, ils donnent à mon regard une acuité particulière. Je suis soudain capable d'instaurer un dialogue avec la beauté.
Wagner provoque toujours cette passion dont Nietzsche se méfie quand il écrit "s'attacher à Wagner, cela se paie cher". Et les larmes que je verse à Bayreuth pendant cette première journée prennent alors la teinte d'une promesse.