Maître et Chien

Il a si longtemps attendu et l'on sait que l'attente est un tel supplice ! Toute sa vie n'est qu'attente - attente de la prochaine promenade dans les champs, et cette attente commence dès qu'il est reposé de sa dernière course. la nuit aussi il attend, car son sommeil est réparti sur les vingt-quatre heures du jour, et plus d'une courte sieste sur le tapis vert du jardin où le soleil lui chauffe le poil, ou derrière les rideaux de sa niche, l'aident à abréger les heures vides de la journée. Ainsi le repos de ses nuits est lui aussi morcelé et sans unité, bien souvent il erre dans les ténèbres de la cour ou du jardin, il se couche n'importe où, et attend. Il attend le retour du gardien avec sa lanterne, et, malgré lui, accompagne d'affreux aboiements d'alarme sa ronde pesante ; il attend la première pâleur du ciel, le chant du coq chez un maraîcher lointain, l'éveil de la brise matinale dans les branches, et l'heure où s'ouvre la porte de la cuisine où il se faufile pour aller se chauffer au fourneau.

Il était brisé de corps et d'âme. Les animaux sont moins gênés que nous, plus spontanés, donc en un sens plus humains dans l'expression corporelle de leurs états mentaux ; des locutions qui pour nous ne survivent qu'au sens figuré et à 'état de métaphores, gardent en s'appliquant à eux - et c'est bien plaisante chose - un sens précis, littéral et non métaphorique. Bauschan, comme on dit, portait la tête basse, c'est-à-dire qu'il la laissait réellement pendre comme un de ces chevaux de fiacre esquinté, qu'on voit en station, les jambes couvertes d'abcès, la peau parcourue de frémissements, et dont un poids de plusieurs quintaux semble tirer vers la terre le pauvre nez grouillant de mouches.