Sandra Lucbert n'a pas trempé sa plume dans l'acide... d'un agent Orange, non ! Elle est bien plus chevaleresque que cela, bien plus fine lame : elle l'a aiguisée aux meilleures pierres, celles des sciences humaines, celles qui font de l'Homme leur objet comme leur fin. Et comme elle est aussi artiste, elle a polie sa plume tranchante d'éclats d'une langue littéraire rare.
Son analyse des ressorts de la domination est brillante même si elle n'est pas tout à fait inédite. Bien des spécialistes et notamment des sociologues ont déjà montré les effets du langage managérial et de la « culture gestionnaire » qui s'imposent depuis des décennies (cf. par exemple le nouvel esprit du capitalisme de Boltanski et Chiapello ou les travaux de Vincent de Gaulejac) et encore les conséquences (de même que les sous-bassement idéologiques) de l'atomisation des collectifs de travail (sciemment recherchés et imposés par des dispositifs de mise en concurrence de chacun avec chacun, cet acharnement à faire de l'homme un loup pour son prochain) de même que les techniques de fragilisation, notamment par le transfert du savoir-faire du salarié à ses outils, véritable entreprise de « déprofessionnalisation »/désarmement dans le rapport de force entre le subordonné et son employeur (cf. par exemple les travaux de
Danièle Linhart ou ceux de
Christophe Dejours). Mais ses « chroniques » du procès France Télécom ont ce brillant et cette force que même les études les plus savantes, les mieux menées, et jusqu'aux plus engagées ne parviennent pas à atteindre. Parce que
Sandra Lucbert livre un travail d'une précision chirurgicale, découpe au scalpel la langue, radiographie les corps et leurs postures, capte les signaux faibles, déchiffre les codes, met à jour les fondations de la mécanique d'ensemble, de la Grande Machine. Elle s'est armée de toutes les sciences et sciences et sait manier le tranchant de chacune en experte, avec un art et une manière de dire qui frappe, un art de souligner qui gifle, une manière d'enfoncer la démonstration comme on le fait d'un coup de poing savant : qui doit permette de se dégager la place dans la garde de l'adversaire, porté là où ça fait mal.
Personne ne sort les fusils mais
Sandra Lucbert tire à mots réels, elle perfore la muraille de l'ennemi par des obus du sens, elle flingue les chiens de garde et, parvenue au coeur de la place adverse, immole les fausses idoles qui se posent en guides . Dans son combat, elle met à jour toutes les contre-vérités qui nous lient et nous bâillonnent. Ses cartouches issues des meilleurs fabriques, rabelaisienne et kafkaïenne, sont d'une puissance justicière. Et ça fait un bien fou.
C'est un livre indispensable comme me disait l'ami plus indispensable encore qui me le mit entre les mains.