La poésie troublante, brutale, sensuelle et paradoxale, du chanteur et parolier de Rammstein
Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2021/11/07/note-de-lecture-
nuits-silencieuses-till-lindemann/
Till Lindemann est certainement connu d'abord et avant tout comme le principal chanteur et parolier du groupe allemand de metal rock industriel Rammstein, dont les tonalités à la fois profondément hypnotiques et résolument caverneuses (en plus d'un intense travail pyrotechnique) lui doivent énormément. Avec ce recueil de
poèmes publié en 2013 en Allemagne, et traduit en français en 2021 par
Emma Wolff dans la belle collection L'iconopop des éditions L'iconoclaste, c'est une facette littéraire étonnamment différente – même si une forme de cohérence intime et stratégique se dégagera nettement in fine – de celle de l'écrivain des chansons « du hast », « Mein Herz brennt », « Mein Teil », « Keine Lust » ou « Ohne Dich », entre bien d'autres, qui nous est joliment dévoilée, dans une certaine brutalité pleine d'audaces et de paradoxes.
Déclarations d'amour aux tracés ambigus, rêveries charnelles, mélancolies érotiques, odes vraiment ou faussement désenchantées, nuits d'angoisses portuaires, cauchemars glissant vers l'abîme pornographique, fougues primales, passions cérébrales et combattantes : la poésie dévoilée ici par
Till Lindemann, sous couvert d'une certaine unité thématique (la plupart des incarnations possibles des rapports – ou absences de rapports – entre sexe et amour seront abordées, directement ou indirectement), parcourt une impressionnante variété de registres, de quelques vers jetés en apparence comme un refrain de chanson à des quatrains plus solidement charpentés, d'incantations lorgnant du côté de quelque sorcellerie amoureuse à des compositions dûment vertébrées et cartographiables. La simplicité et la brutalité, la tendresse bourrue et la sophistication secrète ne se laissent ni approcher d'emblée ni résumer facilement : les obsessions qui hantent ces 123 pages (hors illustrations) sont ici étagées le long de lignes de force travaillées, creusées, rongées par le sperme, la cyprine, le sang et la sueur.
Magnifiés par les nombreux dessins de Matthias Matthies, qui ont été repris dans l'édition française, et qui tirent les textes eux-mêmes, doucement mais fermement, vers davantage de rêverie érotique explicite aux contours parfois fort acérés, les
poèmes de «
Nuits silencieuses » proposent plusieurs paradoxes à l'intérieur des paradoxes, et cela parfois en très peu de mots, comme si les songes nécrophiles aiguisés d'une
Gabrielle Wittkop avaient été brutalement réenchantés par un souffle intérieur pourtant venu d'ailleurs, comme si
Jean Genet et
Rainer Werner Fassbinder avaient vu fusionner leurs arts respectifs le temps d'une incursion liquide sur des frontières plus ignorées, comme si le feu d'artifices n'était plus désormais une figure pyrotechnique mais bien le symbole profond d'un mysticisme athée profondément logé au point de jonction de la chair et de l'esprit. La poésie de
Till Lindemann, d'une manière radicalement distincte de la puissance de feu de Rammstein, trouble et dérange, susurre et accompagne, propose et dispose – de nous et de nos ressentis en matière de contact des corps et des coeurs.
Lien :
https://charybde2.wordpress...