L’œuvre de Bion (1897-1979) est une œuvre de référence. Certains de ses livres sont traduits en français, une partie de ses séminaires aussi . Les ouvrages qui pourraient nous introduire à cette œuvre ne sont pas très nombreux, or Lévy réalise justement, depuis 15 ans, un séminaire qui constitue une telle introduction. Le livre dont nous parlons ici nous offre le fruit de ce patient travail.
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Chez Bion, « psychotique » et « non psychotique » ne sont pas dissociés de façon aussi tranchée [que chez Freud]. Il y a, au cœur de chaque individu, des parties psychotiques et des parties non psychotiques qui se côtoient et s’influencent réciproquement, selon les circonstances et les situations, et ce sont surtout les liens entre ces différentes parties qui conditionnent compréhension et réaction plus ou moins « folles ». C’est pour ce genre de raison, entre autres, que Bion écrit qu’il faudrait, plus souvent qu’on ne le fait, être attentif aux différences qui existent entre un « névrosé insensé » et un « psychotique sensé ».
Si […] l’on ajoute que la « compréhension » de tous ces mécanismes requiert de faire appel à un fonctionnement intellectuel incluant pensée logique, théories causalistes et réflexions d’ordre philosophique, on comprend que Bion appelle à « supprimer le désir, le souvenir et la compréhension » car ils visent à « faire obstacle au bouleversement psychologique inséparable de la croissance mentale » [p73]. Pour Bion, l’analyste doit être sans limites, « devenir infini » [p90], être « l’homme ultime irréductible » [p108] [même si « cela ne se peut »], car il « cherche quelque chose qui diffère de ce qui est normalement connu comme la réalité » [p87]. Il soutient aussi que, « plus l’analyste est près de parvenir à supprimer le désir, le souvenir et la compréhension, et plus il est susceptible de se laisser glisser dans un sommeil proche de la stupeur » [p92], disposition dans laquelle « l’accentuation du contact avec O » produit « un accroissement de la perception ».
xCy signifie que x est engagé dans un processus de connaissance vis-à-vis de y, connaissance qui modifie, évidemment, la connaissance que x a de y, mais qui modifie aussi y, et x également, puisque x se trouve modifié par la connaissance de y. C’est bien à ce processus d’amplification que fait allusion le sous-titre de Transformations, « Passage de l’apprentissage à la croissance », le but d’une analyse devenant clairement pour Bion qu’elle produise des changements chez le patient et chez l’analyste.
[Bion fut amené à penser] qu’au niveau institutionnel la formation psychanalytique produit un effet d’intimidation, d’obéissance et de soumission qui diminue le sentiment de pouvoir exercer la psychanalyse de façon libre et créatrice.
Bion lui-même a constaté qu’il en était devenu l’otage. Il parle des interprétations soporifiques qu’il était amené à formuler « comme il se doit », écrit le traducteur français, alors qu’il faut traduire « duly and dully » […] par l’expression « comme de juste et lourdement » [Bion, Réflexion faite, p.9].
Quand une expérience émotionnelle a lieu, si elle n’est pas élaborée sous forme de représentations symboliques, la « somme d’excitation » (aspect quantitatif) doit être évacué d’une manière ou d’une autre hors du psychisme (par le biais de l’identification projective). L’attention portée à l’expérience émotionnelle permet de faire porter l’accent sur l’importance de la symbolisation du sens (fonction-alpha) que renferment les émotions mentionnées. Mais, à l’opposé de la symbolisation, l’absence de symbolisation se remarque dans les situations cliniques qui mettent en évidence la recherche d’états dans lesquels prédominent l’absence de rencontre et l’absence de pensée, en d’autres termes, par une « fuite des expériences émotionnelles ». Bion parle alors d’ « effondrement des pensées naissantes » et décrit des états qui font apparaître des « éléments-bêta avec des traces de moi et de surmoi ». Il écrit : « La formation de symboles commence à se mettre en route mais, devant la douleur psychique qu’elle rencontre, elle cannibalise ce qui a commencé à prendre forme ; les débris qui en résultent ont des lambeaux de sens accrochés à ces fragments. »(BION, cité par MELTER Donald, in « Qu’est-ce qu’une expérience émotionnelle ? », in Etudes pour une Métapsychologie Elargie. Applications cliniques des idées de Wilfred R. Bion, Larmor-Plage, Editions du Hublot, 2006, p.30)
Il n’est alors pas étonnant de voir se mettre en place des élément-bêta indigérables, voire des objets bizarres, au travers d’hallucinations. « Une telle manœuvre, écrit Bion, vise moins à affirmer qu’à dénier la réalité ; elle vise moins à représenter une expérience émotionnelle qu’à en donner une représentation déformée (misrepresent it) de manière à la faire apparaître comme un accomplissement plutôt que comme une recherche d’accomplissement. » (BION, Aux sources de l’expérience, p. 66)