… après les locomotives à vapeur et les stations de pompage des eaux entre le xviii e siècle et la fin de la Seconde Guerre mondiale, pourrais bien me passionner pour les grues, mais Edwige veut m’être agréable, je laisse filer… ai convaincu Terrick de visiter l’Italie… Florence bien sûr… l’emmener aux Offices ! la Renaissance, Botticelli ! Léonard de Vinci !… ah ! sortir un peu des systèmes d’élévation en milieu portuaire, hein, mon chéri ? échanger nos impressions sur la peinture ! elle veut m’exprimer tout l’enthousiasme pour son travail au musée, doit penser que je suis le nouveau directeur, elle, ma nouvelle assistante… c’est tout de même plus enrichissant, non ?… ils m’invitent à souper, une idée soudaine ! ce sera simple, sans manières, l’impro amicale… why not ? connaîtrai leurs enfants sages, deux filles-un garçon, entre 4 et 7 ans, Terrick sort une photo, scène champêtre avec grands-parents… suis infiniment désolé, j’ai un dîner ce soir… aurais accepté avec joie !…
… ai les jambes parcourues de crampes nerveuses, me suis enfui de l’hôtel il y a plus d’une heure, suis venu m’asseoir sur un banc à regarder le va-et-vient des bateaux, vêtu de ma tenue de pêcheur, invisible dans les yeux vides des gens pressés… sommes fantômes aveugles et volatils, qui se croisent et se traversent sans heurts ni aspérités… il n’y a que des bruits de semelles, moteurs, chaînes, cordages, clapotis contre le wharf… c’est un grand mutisme, un silence de désarroi dans une solitude furtive, un enfermement humide… jusqu’au moment où, portées par le vent de l’estuaire, je saisis des bribes de phrases clamées d’une voix ample et gutturale qui se rapproche… le bateau accoste, un homme engoncé dans un long ciré bondit sur le débarcadère, agitant une lampe électrique qu’il allume/éteint comme pour faire des signaux aux navires, sur la mer qu’on ne peut apercevoir…
… les autres femmes repèrent le manège, comprennent l’insistance de l’objectif, leurs yeux immenses allant de l’un à l’autre, crois entendre gloussements et rires ruisseler sur leurs dents étincelantes… la caméra avance toujours, elles sont complices, s’écartent, livrent passage, la jeune femme tend la main pour obstruer l’objectif de sa paume ouverte, plusieurs secondes d’écran noir, Manson avale un autre verre, les danseurs sont à nouveau au centre de l’image, des cases en poto-poto apparaissent à l’arrière-plan, des ronds blancs défilent sur l’écran de bas en haut, le 8 mm s’arrête là…
… ce ne sont pas seulement vos fonctions, ni vos titres, ni votre adoubement par la reine pour toutes vos contributions essentielles à la muséologie britannique, qui m’impressionnent… c’est aussi votre silhouette, même enveloppée et ventrue, il reste cette taille et carrure de rugbyman, votre élégance désinvolte et chiffonnée, votre rhétorique et vos gestes, d’une ampleur tragique, votre regard sombre qui transperce les êtres… mais enfin, suis suffisamment ivre à présent pour prendre ma respiration et lancer ma question…
on ne peut échapper à Son infinie beauté, celle du monde et de la vie ! pas même dans la laideur animale de la vulgarité mercantile, pas même en mer lorsque les corps se trouvent éparpillés dans la magnificence des eaux de déluge !
« Éditeur en marchant, écrivain en courant »
Avec Justine Lévy, Marie Modiano & Peter von Poehl, Éric Reinhardt, Anne Plantagenet, Isabelle Jarry, Teresa Cremisi, Capucine Ruat, nicole Lapierre, Jean-Louis Fournier...
Animation : Sandrine Treiner
Jean-Marc Roberts fut l'une des figures les plus flamboyantes des lettres françaises. Écrivain précoce, il publie son premier roman à dix-sept ans et découvre alors ce que sera sa vie : se mettre au service des auteurs et des livres. Immense découvreur de talents, il insufflera à la littérature audace et élégance, ne se souciant jamais de la bien-pensance. Pas de ligne éditoriale, plutôt un air de famille joyeusement recomposée qui lui ressemble. Il publie notamment Vassilis Alexakis, Didier Decoin, Christine Angot, Erik Orsenna, et aussi Nina Bouraoui, Philippe Claudel, Aurélie Filippetti, Jean-Louis Fournier, Brigitte Giraud, Luc Lang, Justine Lévy, Eric Reinhardt, François Taillandier…
À l'occasion du 70e anniversaire de sa naissance, cette soirée composera un portrait à son image, vivant et éclectique. Il y sera question de music-hall, de football et de cinéma, de Michel Piccoli et de Nathalie Baye, d'une petite femme et d'un père américain, des émissions de Jacques Chancel, Bernard Pivot et Pierre Desproges, de Hervé Guibert et de Jean Cayrol, de poker, de variétés française et italienne… et bien sûr de fêter la littérature.
À lire – Collectif, sous la direction de Capucine Ruat, “Je vous ai lu cette nuit”. Hommage à Jean-Marc Roberts, Albin Michel, 2023.
Son par William Lopez
Lumière par Iris Feix
Direction technique par Guillaume Parra
Captation par Claire Jarlan
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