La nuit est mon jour préféré

J'entends sa respiration qui se confond avec le roulement des vagues. Ses baisers salés ont le goût du sable. Ses cheveux la texture des algues. Sa peau la douceur des posidonies. Je vois ses grands yeux noirs et ses lèvres ouvertes - feuilles de corail souple qui happent ma langue. P.176

La parole de l'être aimé enrichit la nôtre. Il faut nourrir nos affects qui nous rendent joyeux. Quand aux affects de tristesse, il deviendront secondaires si on renonce à lutter contre eux. Ignorer notre colère et échanger avec la personne qui nous contrarie, voilà la tactique. P.163

Celui qui joue ou celui qui écrit réagence le monde selon sa volonté et y trouve une place toujours plus satisfaisante que celle que lui aurait offerte la vie sans cet aménagement grammatical ou mélodique.

C’est très difficile, Tom, de pleurer en silence. Au début on suffoque, on croit qu’on va s’étouffer, puis on s’habitue et on arrive à laisser couler les larmes sans que le moindre son ne sorte de la bouche. Cet entraînement au seuil de la vie – j’avais alors neuf ans – me sert tous les jours pour ici.

Une année entière, je suis resté comme un rat, dans mon terrier, sans voir la lumière du jour, à manger les pâtés et les madeleines que me préparait Marthe. Elle m’avait bien dit qu’elle avait des enfants (trois), mais je ne les ai jamais vus durant cette période. Trop risqué, m’avait-elle dit avec son sourire doux. Vous pourriez faire du bruit en jouant, on entendrait vos voix, et tout serait fini. Quand elle descendait dans la cave, elle chuchotait. Elle se méfiait des voisins. Personne ne devait savoir.

Et toujours la logorrhée du journaliste américain rapportée par ma mère qui récitait sa leçon à la manière des hôtesses de l’air – Point de vue confort, le Soyouz est une boîte à sardines. Assis sur leur siège, les talons des astronautes touchent presque leurs fesses. Ils sont attachés en huit points, ce qui les empêche de bouger. Ils peuvent juste pivoter la tête.

À ce qu’on raconte, ce nouvel éden devrait faire trois fois la taille de Central Park. C’est extraordinaire, cette capacité que vous avez à occulter et à construire sur de la pesti­lence. Je vous envie.

C’est curieux, ce silence. J’y suis habitué pourtant. Il est le lot de mon métier. Mais le silence qui s’est installé entre nous est différent des autres. Quel est le sens de cette guerre ? De ce rapport de force ? Je dois lui laisser le temps de venir à moi.

À quoi jouons-nous ? Pourquoi suis-je ici avec elle ? Elle est si différente de Siri. Tellement plus fascinante. Pourtant elle m’inspire un désir de mort. À moins que ce ne soit le contraire. Vivre. Violemment. Cette fille me met dans un état anormal. Elle le devine. Elle sent qu’elle me trouble. Je lui donne des forces. Il faudrait que je les lui retire. Je veux la voir tomber. Lâcher prise. Me céder.

Mon peuple est condamné à crever au milieu de ses propres immondices. J’entends les pensées qui restent coincées derrière l’os de son crâne. Elle a raison. Tout est organisé ici pour que l’ennemi prenne conscience de son abjection, de son humanité douteuse.