Jean de la Varende fait partie de ses auteurs qui eurent pas mal de succès de son vivant... et beaucoup moins après sa mort. Lire ces auteurs est toujours intéressant pour moi, qui cherche souvent à comprendre les raisons qui font un best-seller à notre époque. Les recettes sont-elles les mêmes à chaque époque ou, plus logiquement, changent-elles pour d'adapter aux goûts des contemporains de l'auteur ?
Il est en tout cas difficile de croire que ce livre date de 1943. Si on compare la plume de l'auteur à celle de ses collègues (citons Sartre, Hemingway, Mauriac, Camus pour l'exemple) on ne peut s'empêcher de ressentir un arrière-gout de renfermé. On a plus l'impression d'un auteur du 19ème siècle, mais en pouvant voir parfois les ficelles de celui qui cherche à imiter ses prédécesseurs, un style empreint de nostalgie.
Plusieurs facteurs peuvent l'expliquer. D'abord la "double rédaction", commencée en 1911-1913 et terminée en 1943. Ensuite, une volonté affichée de rendre hommage aux auteurs d'antan (voir la présence de Barbey d'Aurevilly et même l'insertion de deux "nouvelles" à l'image des Diaboliques), souvent maladroite par l'utilisation de termes trop choisis... reproche que le personnage de l'écrivain se fait d'ailleurs à lui-même dans le roman. Enfin, et c'est sans doute la raison principale, l'auteur a des idées politiques et religieuses qui le poussent forcément à la nostalgie: catholique traditionaliste et monarchiste légitimiste, on peut difficilement se sentir pleinement du XXème siècle avec ces positions.
C'est sans doute ces mêmes idées qui ont fait son succès auprès d'une certaine frange intellectuelle de son époque et qui font maintenant sa mise à l'index car qui connaissait cet auteur, franchement ? (levez le doigt, et pas forcément l'index, ne soyez pas si conformistes...).
Passé ses lourdeurs de style (et les idées de l'auteur qui transparaissent tout de même assez régulièrement), il reste une aventure un peu à la Dumas, avec moins de succès dans le suspense et l'action en revanche. Le personnage qui m'aura le plus touché est celui du duc de Loigny, dans sa nostalgie d'une époque plus libre dans ses emportements et moins rigide, dans son regard sur sa vie passée alors qu'il est en fin de vie.
Sans aucunement le rejoindre dans ses idées, on ne peut qu'être touché par le sentiment qu'il éprouve de décalage par rapport à son époque, à l'image de son auteur, dont le goût du passé lui aura permis d'améliorer son présent par son succès littéraire, mais qui devra donc renoncer à tout avenir pour son oeuvre. Il ne peut connaitre la postérité que pour ceux qui aiment partir à la recherche des pépites du passé... mince, est-ce que je suis une sorte de de la Varende actuel ?
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Jean de la Varende est un un écrivain normand, un de ceux dont la Normandie du vingtième siècle s'enorgueillit avec raison.
Il est l'auteur de nombreuses nouvelles et d'une dizaine de biographies dont une, prestigieuse, de "Guillaume le bâtard, conquérant".
Il a, aussi, écrit une dizaine de romans dont "L'homme aux gants de toile".
Ce dernier ouvrage est un hommage appuyé à Barbey d'Aurévilly, qui, en 1874, écrivit "Les diaboliques".
En ce dix-neuvième siècle, où les légendes vont encore bon train, monsieur Louis est apparu mystérieusement dans la campagne du Cotentin, les mains couvertes d'épais gants de toile.
Il semble bon, sachant aider et se rendre utile à tous, il soulage les pêcheurs de leur charge trop lourde, il soigne les fièvres de ces marécages de la baie des Veys et prévient de ces gabelous si durs aux braconniers et aux contrebandiers.
Il vit à proximité de l'Abbaye de Blanchelande et est d'abord pris pour un lépreux mais personne dans cette région , située dans les environs de Valognes, St Sauveur-le-Vicomte et La Haye-du-puits, ne sait qui il est et quel est son histoire.
S'il n'a pas l'allure ni les manières d'un paysan, est-il un criminel, un royaliste en fuite, un conspirateur contre le régime impérial, un régicide ? Nul ne le sait. Sauf, peut-être ce curieux colporteur venu de Paris nommé Flammèche et qui compte bien faire sa fortune avec ce secret....
L'écriture de Jean de la Varende, nostalgique de l'ancien régime, est délibérément de style désuet.
Il s'inspire pour ce formidable roman de l'histoire du duc de Praslin, récit à mi-chemin entre la légende et le fait divers.
Cet ouvrage est, sûrement, un de ses plus beaux, il en émane une poésie semblable à celle de ces terres du nord-Cotentin de la région de Valognes ...
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On l'a vu d'abord passer comme une ombre dans les forêts, évitant les bûcherons et les charbonniers. On s'est habitué à sa haute silhouette barbue en « carapousse » brune et même à cette bizarrerie des mains toujours gantées de chanvre bis. Puis, il s'est rapproché, a parlé un peu et, d'instinct, on a compris qu'il n'était pas qu'un simple paysan Est-il un régicide, un royaliste, un comploteur contre le régime impérial venu se cacher dans le fouillis d'arbres et de marécages de ce coin du Contentin ? Quel lourd secret le jette dans la solitude des cépées obscures après qu'il a abattu des arbres tout le jour avec une force de géant?
Dans la région, on a vite cessé de s'interroger sur le compte de ce « Monsieur Louis », si prompt à venir en aide contre les fièvres qui rongent les maraîchins, contre les gendarmes qui emprisonnent les contrebandiers. Mais, à Paris, il y a des gens plus curieux, et Flammèche est de ceux-là. Déguisé en colporteur, il cherche, de village en village, l'inconnu dont il a deviné le secret, afin de lui vendre chèrement son silence.
Jeu dangereux quand on a comme adversaire tout un pays et l'amour d'une femme.
227 - [Le Livre de poche n° 2730, p. ]
Elle ne pouvait parler sans sourire, sans montrer ses dents suspendues, sans dégainer ses douces armes, qui semblaient bizarrement plus tendres encore, plus délicates que ses lèvres. On les voyait toutes, quand elle parlait, intactes, frâiches; la lumière de la lampe haute l'éclairait jusqu'au fond de la bouche, cette caverne rose dont le palais avait de minces arcatures. Toutes les paroles qui en sortaient semblaient précieuses, comme, dans les contes féériques, ces lèvres qui laissent tomber, avec chacun de leurs mots, des diamants.
De mon temps, le sérieux était une incorrection; la mélancolie, une maladresse; et l'humeur sombre, un crime. Vois-tu, le goût de ce que vous appelez aujourd'hui de la légèreté dissolvait tous ces desseins funestes, soufflait sur ces hantises et sur ces idées fixes. Nous étions gracieux, pirouettants, et toujours prêts à donner de nous-mêmes. Quand nous avions fait une bêtise, nous la réparions par une action d'éclat. Nous n'eussions jamais ennuyé personne avec nos remords: d'abord, nous n'en avions pas!
Je me demande, continua-t-il, bien souvent, d'où est venue, avec une telle soudaineté, cette perte de la gaieté française. Songe que jadis, Richelieu, le grand Cardinal, faisait des farces ! Est-ce du règne de la bourgeoisie qui n'a pu parvenir que grâce au sérieux affecté par ses commis, par leur gravité de petits fonctionnaires ? qui la conservent dans le gouvernement, comme des intendants ou maîtres d'hôtel ? Serait-ce de la place nouvelle prise par les protestants, antiroyalistes par état, et qui ont été, tout de suite - grandes qualités, d'ailleurs - utilisés par le nouveau régime ? Ou bien à la saignée effroyable faite chez les gentilshommes ? Les enfants ont été élevés comme des orphelins, par des mères navrées… et dévotes, dans l'angoisse.
228 - [Le Livre de poche n° 2730, p. 62/3]
Nos personnages ne nous appartiennent pas longtemps ; eux aussi nous échappent. Nous sommes distancés par ceux que nous avons créés : par nos enfants. Un livre, c’est une déception familiale de plus.
Mademoiselle de Corday
Jean de la Varende
Éditions Via romana
Initialement paru en 1939, ce portrait psychologique de Charlotte Corday est l'occasion pour l'auteur, royaliste et contre-révolutionnaire, de reconnaître la diversité des oppositions à la Révolution française. Il résume l'essence de l'assassin de Marat à une identité fantasmée : fille de gentilhomme, païenne, vierge, viking et normande. ©Electre
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