« En vers et contre tous »
Voici en peu de mots la maxime de ce livre original et marquant.
Le titre
Humus tout d'abord n'incite pas vraiment à la rigolade ni à l'envie irrésistible de se plonger dans ce bouquin ; la première chose qui vient à l'esprit, c'est une substance noire, à l'odeur d'humidité et de moisi, issue de la décomposition de matières organiques … On a connu plus appétissant et glamour…
Oui MAIS … appétissant et glamour ce n'est pas vraiment le sujet, quand c'est la survie de l'humanité que
Gaspard Koenig interroge : « Les Romains le savaient bien : Homo vient d'
humus. Homo vit d'
humus. Puis Homo a détruit
humus. Et sans
humus, pas d'Homo. Simple. » (p.249)
Tout est dit. Simple. Basique.
La planète brule et que faisons-nous ? Nous regardons le doigt ou nos pieds, fonçant tête baissée vers notre prochaine extinction. Il ne fait plus aucun doute que l'Homme devra faire face à des catastrophes climatiques majeures qui entraineront maladies, famines, guerres, exodes massifs, …
La question n'étant plus de savoir « Si » mais « Quand »et « Qui ». Qui cela touchera-t-il de plein fouet ; notre génération, celle de nos enfants ou de nos petits-enfants ?
Le désastre est annoncé et ceux qui ont participé à une fresque de climat savent qu'il n'y a là aucun alarmisme démesuré, la conjonction de multiples facteurs montre que l'humanité a mangé son pain blanc (sachant de surcroît que nous sommes les grands privilégiés quand d'autres sont abonnés aux miettes depuis longtemps), le pire est à venir.
« Petits, petits, petits » Arthur tapote la terre doucement, il est à la recherche des lombrics, ces précieux vers de terre, les petits héros non masqués de ce livre puisqu'ils sont aveugles. Ne faites pas cette mine dégoutée, car c'est peut-être grâce à eux que nous pourrons enfin réduire nos déchets et régénérer nos sols épuisés.
Humus, c'est avant tout l'histoire d'Arthur et Kevin, deux étudiants en agronomie qui se rencontrent sur les bancs de l'école AgroParisTech. A la faveur d'une conférence donnée dans leur école par un vieux briscard, Marcel Combe, les deux étudiants découvrent la géodrilologie (étude des vers de terre) et un vaste univers peu couvert par la science s'ouvre à eux avec un champ infini de possibles.
Gaspard Koenig réussit le tour de force de réunir en un même livre partage de connaissances, humour grinçant savoureux sur les élites qui gouvernent la France, l'hypocrisie sans bornes des politiques RSE des entreprises qui tentent de ripoliner à grands coups de greenwashing leurs façades bien peu vertueuses, et de mettre en perspective les solutions existantes. Il se paye également le luxe de se mettre en scène dans son roman lors d'une brève apparition sous les traits d'un « certain Gaspard, essayiste qui se piquait d'être médiatique mais dont Kevin n'avait jamais entendu parler » (p.235)
Ne sont-elles finalement bien limitées ces solutions, et surtout avons-nous encore le temps de nous y essayer ? N'est-il pas déjà trop tard ? Ne produisons-nous pas plus de déchets qu'aucune solution ne pourra jamais absorber ? Les happenings de jeunes militants écologistes qui se collent à des tableaux dans des musées font parler les médias, mais parle-t-on pour autant des vrais problèmes ?
Ne remettons-nous pas sans cesse à plus tard les mesures de bons sens les plus élémentaires, les accords de Paris en sont le premier exemple …
Alors, quelles seront les solutions pour les jeunes générations : un retour à la vie des hommes des cavernes ou une révolution pour un changement radical de paradigme ?
Arthur et Kevin représentent ces deux attitudes. Arthur celle d'un attentisme désespéré et méprisant (en mode je vous l'avais bien dit) qui se prépare au grand effondrement en cultivant son potager et en élevant ses poules. Kevin est celui qui ose agir, avec l'espoir fou de changer les choses en montant une entreprise en mesure de traiter les déchets par vermicompostage à grande échelle.
Sous couvert d'une histoire entre deux jeunes hommes bien décidés à prendre leur avenir en main, l'auteur nous embarque dans un roman dans un roman trépidant, rondement mené dans lequel je ne me suis pas ennuyée une seconde. le lecteur suit avec curiosité les pérégrinations des deux comparses, quel sera celui qui réussira à atteindre ses objectifs ? entre d'une part, Arthur le doux rêveur parisien bobo néo-rural qui se met en tête de refertiliser la terre de la ferme normande léguée par son grand-père après des décennies d'épandage de pesticides sur les sols, et le beau mais assez terne Kevin, dont les parents ont travaillé toute leur vie dans les exploitations agricoles, en passant d'un contrat précaire à un autre.
Je n'irai pas cependant au-delà des 4 étoiles, car j'apporterai deux bémols : le premier est la vision des femmes donnée par Koenig : Anne (compagne d'Arthur) et Philippine (associée de Kevin) sont intéressées, vénales, manipulatrices, caractérielles, … et complètement caricaturales.
Gaspard Koenig fait de Philippine le cerveau de l'entreprise qu'elle va diriger avec Kevin pour mieux nous la faire détester ensuite en la ridiculisant en personne cynique, pistonnée à outrance par sa famille (comme pour lui enlever tout le mérite de ses succès), frustrée sexuellement, prête à tout pour briller (complot, fausse accusation d'agression sexuelle), et j'ai trouvé regrettable que l'auteur en fasse des tonnes pour nous la rendre à ce point insupportable et antipathique.
Anne va vite jeter l'éponge du rêve d'un retour aux sources à la campagne avec Arthur pour retourner bien à l'abri dans le confort urbain, sous les dorures d'un cabinet ministériel, toute de paraître et de superficialité vêtue, j'imagine juchée sur des talons de 12 et arborant un décolleté pigeonnant … et qui en plus se paiera le luxe d'une ultime trahison à la fin du livre (que je ne révèlerai pas ici).
Le second bémol est lié à la fin du livre qui part dans une éco-révolution guerrière. Autant j'ai trouvé le roman très perspicace et crédible dans sa dénonciation des rouages hypocrites du greenwashing, de notre incapacité individuelle et collective à réduire nos déchets (le meilleur déchet est celui que l'on ne produit pas), du capitalisme uniquement avide de profit et des fonds d'investissement cyniques, autant la fin part totalement en vrille. Pourtant, comme je le disais plus haut, il serait naïf de croire que la catastrophe climatique à venir n'engendrera pas un nouvel ordre mondial, rebattant les cartes géopolitiques avec violence (guerres de l'eau, guerre des sols fertiles, famines, montée des eaux, inondations, ouragans, maladies infectieuses, et j'ai gardé le meilleur pour la fin, celle qui pour moi accélèrera peut-être l'extinction de la race humaine, le dégel du permafrost…). Mais là encore
Gaspard Koenig a poussé le curseur du délire un peu loin dans la révolution ultraviolente qu'il propose. Dommage, celle-ci n'est pas très finement amenée et, de mon point de vue, tombe comme un cheveu sur la soupe, alors qu'elle se rêvait probablement en feu d'artifice final …
Malgré mes deux bémols, je ne boude pas mon plaisir d'avoir lu ce livre que j'ai trouvé à la fois instructif, réjouissant, décapant, en un mot savoureux. S'il ne propose pas de solution, et au contraire, démontre que la solution miracle n'existe pas, il a l'immense mérite de relancer le débat et ce n'est déjà pas si mal.
Après avoir lu ce livre, vous y réfléchirez à deux fois avant d'écraser un lombric… Au passage,
Gaspard Koenig fait tomber le mythe de cour de récré de CP, si vous coupez un lombric en deux, cela ne donne pas deux lombrics, juste un lombric mort … Allez, tous en choeur « Petits, petits, petits ! » …