C'est l'histoire d
u dernier quart d
u vingtième siècle, à travers un homme et sa famille, c'est l'histoire des derniers sursauts d'agonie de la grande civilisation paysanne qui liait l'homme et la terre depuis le néolithique, c'est notre histoire, parce que cette civilisation nous a faite et que ce quart de siècle nous l'avons vécu.
Parlera-t-on de roman total ? Pourquoi pas ? Mais qu'est-ce que c'est finalement qu'un roman total, Alors disons simplement que c'est un grand roman qui aborde de grands sujets.
Le personnage central, appelons-le le héros, mais je préférerais le protagoniste, c'est Alexandre,fils, petit-fils, arrière-petit-fils...de paysans, éleveur dans une région montagneuse non précisée du sud-ouest, entre Toulouse et Rodez, pas loin du Larzac. le Larzac, justement, c'est sa grande époque, on ne parlait pas encore de zone à défendre, mais l'idée y était, on y rencontrait un peu de tout, beaucoup de marginaux dont certains feront souche et deviendront des néo-ruraux, pas mal de gauchistes bien sûr, dont certains à la frontière et pas qu'à la frontière du terrorisme, c'est l'époque de la Bande à Bader et des Brigades Rouges, et Alexandre va, un peu par hasard, se frotter à tout cela, y faire des rencontres, mais ne basculera pas. Même s'il y rencontrera Constanze, l'amour de sa vie, un amour profond, difficile et douloureux, la grande affaire de cette vie restera sa terre, cette ferme qui est dans la famille depuis quatre générations, et qu'il exploite avec ses parents et ses grands parents, dans l'une de ces dernières familles élargies du
Sud-Ouest , dont
Emmanuel Todd, a parlé dans L'invention de la france » et qui font partie de ce monde paysan qui meurt ; qui meurt parce que le monde change, parce que le progrès, parce que l'Europe, parce que la mondialisation, parce que le Crédit Agricole, parce que la Chambre d'Agriculture, parce que la FNSEA, parce que...ce sont d'ailleurs les mêmes ; et le lecteur craindra un moment que ces vents mauvais n'emportent Alexandre, comme tant d'autres. Mais....
C'est un roman de la nature et de la terre, presque un document sociologique, au point que
Jérôme Fourquet le cite dans « La France d'après », son dernier ouvrage, et mieux qu'un document sociologique puisque c'est un roman, et que les romans peignent mieux la société que les études doctrinales, comme un tableau en dit plus qu'une photographie.
Bon, il y a aussi les soeurs d'Alexandre, elles iront à la ville et y réussiront, on pense à jean Ferrat, « les filles, elles veulent aller au bal, il n'y a rien de plus normal que de voulir vivre sa vie », et les liens se distendent.
Mais il y a aussi la grande histoire : l'élection de Mitterand (enfin, grande histoire si l'on veut, mais les personnages le pensent sur le moment), Tchernobyl, la vache folle, et les grandes peurs qu'elles ont engendrées ; et puis aussi une des facettes de la modernité, l'autoroute A20, dont la construction menace.
Et la tempête de 1999, qui sera finalement une eucatastrophe, comme dirait
Tolkien...
Bref, beaucoup de choses, et j'en aurais dit plus n'eût-été la crainte de spoiler, quoique pour ma part je ne vois pas grand mal à cela.
Et en tout cas, je le répète, un grand livre, et un livre à lire, un de ces livres trop rares dont on (en tout cas moi) a la sensation bizarre de sortir meilleur.
Avant de conclure, précisions que ce livre est la première partie d'un diptyque, la seconde a été publiée cette année sous le titre "
Chaleur humaine", on y retrouve les mêmes personnages, "Vingt ans après", comme chez Dumas