« Jeanne Corbin est entrée dans nos vies le 9 décembre 1933 » nous dit la narratrice de cette belle histoire lumineuse qui pourrait s'inscrire dans une nouvelle « Légende dorée » celle de la lutte ouvrière menée dans les années trente à Rouyn ville minière où avait aboutie toute une population qui avait suivi "la route des sans-travail", dont le père de la narratrice parti de Toronto ; une population bigarrée composée aussi d'immigrants, Ukrainiens, Finlandais, Croates, Biélorusses, de "paumés de toutes sortes".
Jeanne Corbin a vingt sept ans et le père vingt-huit. Il est journaliste au Rouyn-Noranda Press. Il ne sait pas encore et sa famille non plus à quel point ils vont tomber sous le charme de Jeanne, la voix de Jeanne, "une voix de gorge profonde", emportés par le discours qu'elle va adresser en français aux bûcherons réunis dans le Temple ukrainien du travail.
" -- Son sourire... le sourire qu'elle a eu à la fin de son discours ! Pure joie habitée d'une tristesse indéfinissable. Toute son attention à la marche du monde était dans ce sourire.
Mon père est devenu amoureux en même temps que communiste." p 35
"Il me semble être née sachant déjà tout de cette histoire. Mon père aimait une autre femme que ma mère et cet amour, loin d'apporter le malheur dans notre famille, a été l'élément qui l'a solidifiée, car Jeanne a été au centre de nos plus grandes exaltations." p 37
L'amour irradie ce petit livre. Cette rencontre du père et de Jeanne est vécue comme un conte par Clara et Alexandra les soeurs aînées de la narratrice qui n'est pas née à l'époque ; ce qui ne l'empêchera pas d'être rejointe par la légende que les filles se racontent le soir et de participer ensuite aux scénettes de leur théâtre privé.
Si l'on ressent toute l'admiration de la narratrice pour son père et pour Jeanne, elle n'oublie pas sa mère, femme exceptionnelle qui ajoute au nimbe qui entoure tout ce récit par sa propension à semer amour et joie autour d'elle et qui participe grandement au maintien de la cohésion familiale avec l'aide d'un bon samaritain, Vaara, géant fréquentant les tripots, joueur invétéré qui distribue l'argent qu'il gagne. Il secourra bien souvent la famille moralement et matériellement. Car le père chaleureux et aimant est aussi un idéaliste qui ne verra pas combien le monde change autour de lui et restera jusqu'au bout attaché aux années de lutte illuminées par Jeanne Corbin forte et douce jeune femme "habitée par la grâce" qui se sentait investie d'une mission.
Il y a deux Jeanne sur les routes. L'une Jeanne Corbin qui a existé réellement et a vécu une période où l'on pouvait encore se battre en croyant à des jours meilleurs, l'autre la narratrice qui n'a, elle que les souvenirs de son père notés dans des carnets. Si elle continue à errer sur les routes c'est avant tout par fidélité à ce père tant aimé qu'elle a accompagné jusqu'au bout et à Jeanne Corbin aimée par son père et dont elle porte le prénom.
Mais elle sait que tout est fini, qu'il ne reste rien de ces années et de tous ceux, disparus, qu'elle s'attache à faire revivre dans un récit où ils apparaissent entourés d'une lumière douce qui leur redonne vie.
Si j'ai été très émue par la lecture du dernier livre de Jocelyne Saucier, "Il pleuvait des oiseaux", je trouve que celui-ci, paru en 2006, mérite aussi d'être lu.
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c'est l'histoire d'une veille femme qui parle de son père, de son éducation, de sa vie, de comment son père était amoureux de Jeanne, pour sa conviction dans le communisme et comment il s'est battu toute sa vie pour.
la disparition de son père est triste en vrai, j'ai vraiment eu de la peine, il essayait de vivre dans un idéal, alors que tout le monde était opposé à son idéal, ça doit vraiment être douloureux, comme l'impression de hurler face au vent quoi... ça doit être épuisant et c'est assez beau qu'il ait continué toute sa vie mais du coup sa disparition ça finit en apothéose quoi, j'ai vraiment bien aimé...
ça parle aussi de l'acceptation, et du rôle de la foi, dans l'histoire de sa mère, et c'est beau également une telle abnégation
C'est une peu l'histoire d'une obsession qui devient magnifique
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Mon père avait des mains fines et nerveuses, très grandes cependant, des mains qui s'agitaient comme des drapeaux au vent et qui mouraient tout doucement quand s'apaisait le frémissement de la parole. Ce n'étaient pas des mains qu'il pouvait présenter à la guérite d'une mine.
On le lui avait dit sur la route. Ce n'est pas avec ces mains-là que tu vas trouver du travail. Et on exhibait de larges mains torturées auxquelles il manquait parfois un doigt ou deux.
Ce sont pourtant ces mains-là qui lui ont valu son emploi au Rouyn-Noranda Press. Ses deux longues mains qui feuilletaient Le Devoir dans une cambuse où l'on servait des spaghettis. A la table voisine, un homme observait les mains voleter d'une page à l'autre, impressionné par leur familiarité avec le papier, leur légèreté, leur dextérité et, surtout, leur contentement quand, après s'être rejointes pour fermer une page, elles s'ouvraient devant un monde nouveau à contempler. Si ce jeune homme parle un anglais correct, je l'engage, s'était dit l'homme.
La vie a été bonne encore une fois pour mon père. D.A. Jones était le directeur du Rouyn-Noranda Press. p 29
La photo fera la première page de L'Étincelle ou de L'Étoile ou de L'Aurore, je ne me souviens plus, il y en a tellement eu de ces journaux que j'allais distribuer avec mon père. J'ai pris goût à la route. J'aime voir défiler les épinettes, les lacs, les rivières, et tout d'un coup, l'éblouissement du regard, une lumière dorée vient se glisser sur les eaux noires d'un lac, une maisonnette se dresse dans la brume du matin, puis une autre, un village entier se réveille, et je suis déjà loin, car il y a des villages que nous évitons. Les communistes ne sont pas bien vu partout.
(...) Mon père, au volant de cette guimbarde qui râle et qui tousse, et moi, à ses côtés , qui regarde défiler le paysage pendant qu'il me fait la conversation. Car il parle mon père, d'abondance et avec passion, de la révolution russe, de la révolution chinoise, de la révolution cubaine, de la révolution en marche en Amérique, malgré le maccarthysme, malgré la guerre froide, malgré tout ce qu'on pourra lui opposer, la révolution vaincra.
(...) et je suis toujours habitée par cette voix ronde et chaude qui m'a appris à espérer un monde meilleur. p12-13
J’ai dix-sept ans sur cette photo et je crois qu’un jour je serai quelqu’un d’autre, mais je sais qu’il n’en sera rien. Je serai toujours aux prises avec cette exigence qui me porte à vouloir élever un être supérieur sur les gravats de ma personne. (p.11)
L’amour n’est pas le bonheur, il est trop grand pour loger dans si petit. (p.94)
l’espoir n’est pas une vague évocation poétique. L’espoir est âpre et difficile, il est un combat quotidien, il est tout ce qu’on a quand on a rien. (p.39)
L'écrivaine Jocelyne Saucier vous fait découvrir des extraits de son roman Il pleuvait des oiseaux (XYZ, 2011). L'année de sa publication, cette oeuvre a remporté le Prix des cinq continents de la Francophonie, une récompense littéraire créée par l'Organisation internationale de la Francophonie. Jocelyne Saucier lit également, en primeur, des extraits de son tout nouveau roman qui sorti cet automne : À train perdu (XYZ, 2020). // Emprunter les romans de Jocelyne Saucier en version numérique http://bit.ly/JSaucier
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