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3,7

sur 619 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Difficile de résumer un tel bouquin comme il a été difficile à Philippe Jaenada de résumer l'histoire de ce jeune garçon de onze ans, Luc Taron, enlevé à Paris un soir du printemps 1964 et dont le corps a été retrouvé le lendemain au matin dans le bois de Verrières, dans l'Essonne.
Ce fait divers dénommé « l'affaire de l'Étrangleur » défraya la chronique en 1964. Progressivement, insidieusement, les soupçons vont se porter, injustement, mais inévitablement sur les parents jusqu'à l'entrée en scène de Lucien Léger. Celui-ci revendique en effet le meurtre dans des courriers signés « l'étrangleur » et à force de fanfaronnade finit par être arrêté.
Ce jeune homme ordinaire, infirmier, né en 1937, marié à Solange en 1959 avoue le meurtre.
Son procès se déroulera du 3 au 7 mai 1966 devant la cour d'assises de Seine-et-Oise. le verdict tombe : Réclusion criminelle à perpétuité. Soudain, revirement de Lucien Léger qui opère une brusque volte-face: « Monsieur le Président , vous venez de commettre une erreur judiciaire ! », et de déclarer que s'il est bien l'auteur des 56 messages, il n'a rien à voir avec le drame.
Condamné sans réelles preuves, sans témoins et de plus sans mobile, il sera mis à l'écart de la société pour le reste de sa vie.
Certes, comme le dit l'auteur, rien n'est simple dans cette histoire. Quel travail, quelle persévérance et quelles recherches archivistiques, tout comme d'ailleurs dans ses deux précédents ouvrages que sont La petite femelle et La serpe, Philippe Jaenada a dû fournir pour nous offrir un bouquin d'une telle densité avec une analyse aussi précise et minutieuse, révélant les failles du dossier et toutes les incohérences de cette affaire. C'est presque à la fabrication d'un coupable qu'il nous est donné d'assister, même si Lucien Léger, ce mythomane, a contribué à embrouiller l'histoire. L'écrivain reconnaît que le livre écrit par Stéphane Troplain et Jean-Louis Ivani « le voleur de crimes » lui a été plus qu'utile dans ses recherches.
En s'attelant à cette tâche qui consiste à examiner, à éplucher, à analyser tous les faits, tous les articles, toutes les lettres, toutes les archives possiblement consultables, recouper tout ça, une tâche de titan, pour tenter de cerner la personnalité de Lucien Léger et savoir qui pourrait être le meurtrier du petit Luc Taron, Philippe Jaenada n'hésite pas à désigner comme responsable de ce fiasco, de cette injustice, de ce scandale, Maurice Garçon, le plus grand avocat du XXe siècle. Il nous invite également à une véritable plongée au coeur de ces années 1960, une époque qui pouvait aussi être sombre.
Tous les protagonistes de cette affaire, à des degrés différents, présentent des zones obscures. Seule, Solange, l'épouse de Lucien Léger, cette jeune femme à qui l'auteur réserve la troisième et dernière partie de son roman, peut apparaître comme un rayon de lumière, et pourtant, rien ne lui sera épargné dans sa douloureuse et brève vie.
Pour atténuer cette noirceur et nous extraire quelques instants de cette atmosphère pesante et menaçante où gravitent des monstres comme l'écrit Lucien léger lui-même dans un de ces courriers : « Je suis de la graine qui pousse au printemps des monstres », l'auteur se tourne vers la dérision, se mettant en scène lui-même, nous permettant par ses digressions d'échapper à ce malaise ambiant. Très vivantes également, et très pertinentes, ces petites remarques et réflexions notées entre parenthèses, exprimant son avis personnel.
Philippe Jaenada parvient au fil de l'enquête, par son investigation au coeur de cette affaire qualifiée de résolue, à nous faire carrément douter de la culpabilité de celui qui fut dénommé l'Étrangleur.
L'homme étant décédé, nous nous prenons à espérer qu'un jour peut-être, un procès en révision pourrait avoir lieu… le rêve n'est pas interdit. En tout cas, il est difficile de sortir indemne de cette lecture et ce roman me hantera longtemps.
Petite anecdote personnelle : j'ai été pour le moins surprise et émue, lorsque Philippe Jaenada se trouve à enquêter sur André Cotte, dont le nom apparaît dans une lettre du procès. Adjoint au chef des FFI Vercors, restant à leurs côtés jusqu'en septembre 1944, André Cotte s'illustre lors des bombardements de la Chapelle-en-Vercors. Il reprend ensuite son métier d'enseignant. « le collège de Saint-Vallier, dont il a été nommé principal en 1966, porte aujourd'hui son nom, et ce n'est que justice... » Que de souvenirs pour moi, qui justement en 1966, suis entrée en quatrième dans ce collège tout neuf !
Au printemps des monstres, est un gros pavé de 750 pages, un investissement énorme à n'en point douter pour son auteur, bouquin lourd pour de nombreuses raisons, écrit pour un homme qui s‘appelait Léger et l'était pourtant si peu…, que je ne pourrai oublier de sitôt !

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Au printemps des monstres, ce livre m'a pris beaucoup de temps pour le lire. J'ai ressenti parfois de la lassitude mais, paradoxalement, je le referme presque à regret.
Je n'ai pas dénombré tous les personnages croisés au cours d'une histoire qui tourne autour de l'assassinat de Luc Taron (11 ans), le 26 mai 1964. Ils sont nombreux, fugaces pour certains, devenus célèbres pour d'autres, mais tout s'articule évidemment autour de Lucien Léger, connu sous le terme qu'il s'était attribué lui-même dans ses messages précédant son arrestation : L'Étrangleur.
Précision utile, Luc Taron n'est pas mort étranglé et là, commencent les doutes, les invraisemblances et les complications infinies d'une affaire jamais vraiment élucidée et dont certains éléments ont disparu des différents dossiers.
Philippe Jaenada, comme il l'a fait dans ses romans précédents que j'ai lus, pour Pauline Dubuisson dans La petite femelle puis pour Henri Girard, dans La serpe, ne laisse aucun détail de côté. Il se rend sur les lieux, tous les lieux où ont vécu les personnages dont il parle, sans oublier, ce qui détend bien la tension d'une lecture peu réjouissante, sans oublier de confier ses soucis de santé, ses moyens de déplacement, sa lutte contre son tabagisme et surtout en faisant partager ses émotions, son ressenti.
D'emblée, il m'apprend qu'il est né à Saint-Germain-en-Laye (Yvelines), le 25 mai 1964, quelques heures avant la découverte du corps de Luc Taron, dans le grand bois de Verrières (Essonne). D'ailleurs, il s'y trouve, dans ce bois, à 4 h du matin, à la même date, cinquante-cinq ans après sa naissance, pas très loin du lieu où il a vu le jour.
Trois grandes parties constituent son récit passionnant et fort bien documenté : le fou, Les monstres et Solange. Malgré la longueur des chapitres, il a su ménager une utile respiration agrémentée de quelques citations édifiantes tirées de la presse, d'autres livres ou de déclarations à la radio ou à la télévision.
Régulièrement, Philippe Jaenada que j'ai écouté très attentivement aux récentes Correspondances de Manosque, rend hommage, remercie Stéphane Troplain et Jean-Louis Ivani pour leur livre, le Voleur de crimes (édition du Ravin bleu, 2011). Avant lui, ils ont enquêté, fouillé dans cette histoire bien compliquée et rencontré, parlé avec Lucien Léger, après sa libération de prison, avant sa mort. Il salue régulièrement aussi l'aide efficace de Wats, Letizia Dannery ainsi que bien d'autres dont, et avant tout, Anne-Catherine, son épouse.
Le fou est bien sûr consacré au détail des événements. le fou en question se nomme Lucien Léger et il s'attribue un crime qu'il n'a sûrement pas commis et pour lequel il a été condamné à perpétuité. Il avait d'abord reconnu les faits pour protéger une ou plusieurs personnes puis s'était rétracté juste avant le procès, la peine de mort pouvant être au bout… Après quarante-et-un ans d'enfermement, il sort de la prison de Douai, dans la nuit du 2 au 3 octobre 2005. Il est mort en juillet 2008, à 71 ans.
Quand Philippe Jaenada aborde Les monstres, commence l'étude détaillée des invraisemblances, des détails importants laissés de côté et surtout du rôle des principaux protagonistes qui sont, eux, les véritables monstres.
L'auteur ne ménage pas les avocats et met en avant la véritable personnalité de Luc Taron qui n'avait pas de copain. Il raconte la vie de sa mère, Suzanne Brûlé et surtout de celui qui s'affiche comme le père : Yves Taron, « un escroc minable ». Surtout, il y a ce Jacques Salce qui a un alibi trop beau pour la nuit du crime et dont le nom reviendra souvent ensuite.
Enfin, Philippe Jaenada nous parle de Solange, l'épouse de Lucien Léger, dont la photo illustre la couverture du livre. Son histoire est terriblement émouvante car, enlevée à sa mère pour être confiée à l'Assistance publique, elle a su devenir une jeune fille comme les autres. Hélas, sa santé s'est subitement dégradée alors qu'elle allait passer le BEPC (Brevet des Collèges aujourd'hui), en 1955. Tout au long des années qui lui restent à vivre, jusqu'à son décès, à 31 ans, elle consomme beaucoup de médicaments et séjourne régulièrement dans des unités psychiatriques.
Lucien Léger a commencé à correspondre avec elle alors qu'il était soldat en Algérie car il était ami avec son frère. Ils se sont enfin rencontrés, se sont aimés et se sont retrouvés plongés dans la tourmente judiciaire. Ils se sont écrit des quantités de lettres dont l'auteur cite de nombreux passages mais Solange Léger devient la proie de la presse à scandale (Ici Paris, France Dimanche, Détective) qui en fait des tonnes pour vendre du papier. Solange étant dans la misère la plupart du temps, elle tente de monnayer ses confidences vite transformées, hélas, pour appâter le lecteur.
Au printemps des monstres, ce livre m'a demandé beaucoup de temps pour le lire mais beaucoup moins qu'il en a fallu à Philippe Jaenada pour enquêter et écrire, passant en permanence, trois années de sa vie, jour et nuit, pour cette histoire qui n'a jamais vraiment trouvé de solution convaincante. Seule certitude : Lucien Léger n'a pas tué Luc Taron.
Quand, à Manosque, Ghislaine a demandé à l'auteur comment il pouvait sortir indemne après avoir écrit un tel livre, Philippe Jaenada a répondu qu'il n'était pas indemne, plutôt effondré, que, moralement, il n'en sort pas et qu'il y pense tout le temps, précisant qu'une fois de plus, la vérité judiciaire est fausse !

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En 1964, un petit Parisien de onze ans, Luc Taron, disparaît et est retrouvé mort dans une forêt de proche banlieue. Un corbeau, s'identifiant comme « L'Etrangleur », revendique son assassinat dans une série de très étranges courriers aux médias, à la police et aux parents. Arrêté au bout d'un mois, l'homme, qui s'appelle Lucien Léger et est infirmier, avoue le meurtre et est condamné à la réclusion à perpétuité.


Il avait vingt-sept ans au moment des faits. Il ne sortira de prison que quarante-et-un an plus tard, au terme de la seconde détention la plus longue d'Europe. Revenu sur ses aveux au milieu de mille contradictions, il ne démordra plus jamais de son innocence. Ce n'est qu'en 2012, quatre ans après sa mort, que des doutes quant à sa culpabilité sont émis par deux journalistes, dans un livre évoquant un Lucien Léger qui se serait faussement accusé par besoin pathologique de reconnaissance. Philippe Jaenada revient sur cette affaire, et, après quatre ans d'enquête et d'écriture, nous livre sa propre analyse et ses multiples interrogations. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que les zones d'ombre sont légion dans cette histoire qui n'en finit pas d'ébahir son lecteur...


Le travail de Philippe Jaenada est impressionnant d'exhaustivité et de précision. Il s'est rendu sur tous les lieux, a épluché tous les documents, s'est entretenu avec toutes les personnes pouvant apporter un éclairage sur cette histoire vraie, dont il apparaît que l'on n'a très opportunément retenu que le versant qui arrangeait les protagonistes de l'époque. Et si la première partie du récit, consacrée à une restitution fidèle et minutieuse des événements connus et retenus par les médias, la police et la justice, stupéfie par l'apparence monstrueusement délirante des actes et des comportements de Lucien Léger, c'est une version bien différente, dissipant cette fois toute impression de folie et de perversion, mais menant à une consternation tout autant sidérée face à la probabilité de l'erreur judiciaire, que la suite du livre s'emploie à mettre au jour.


Contre-enquête et réexamen du moindre détail, complétés d'une exploration tristement édifiante de cette histoire vue par la malheureuse épouse de Lucien Léger, semble-t-il indûment internée en asile psychiatrique, ont tôt fait de nous convaincre, à défaut de preuves opposables à des protagonistes aujourd'hui décédés, que rien dans cette affaire n'est conforme à ce que l'on a bien voulu en retenir, et que les plus coupables, les plus fous et les plus monstrueux, n'y sont sans doute pas ceux que l'on a condamnés et enfermés.


Minutieuse, exhaustive, l'investigation de Philippe Jaenada nous tient en haleine sur près de huit cent pages, entre étonnement, indignation et consternation, mais aussi, pour notre plus grand plaisir, de sourires en éclats de rire : commentaires railleurs, digressions pleines d'auto-dérision faisant écho à l'actualité générale ou personnelle de l'auteur, viennent plaisamment alléger le texte, au gré de drôles de parenthèses imbriquées comme des poupées russes.


C'est donc presque autant amusé par les anecdotes et le style, que tristement troublé par cette justice aux allures de loterie dénoncée par l'un des avocats de Lucien Léger, par ces apparences dont notre société tend souvent trop hâtivement à se satisfaire, et par le triste sort de ce couple condamné, manifestement à tort, à cette mort lente qu'a été leur détention vraiment à perpétuité - en prison pour lui, en asile psychiatrique pour elle -, que l'on s'installe longuement dans cette lecture coup de coeur.

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Philippe Jaenada prétend avoir dû se tourner vers la littérature du réel parce que sa vie devenue trop plan-plan ne lui permettait plus d'écrire des romans à forte connotation autobiographique. Ouais. Ouais. J'ai une autre théorie. Parce que dans son avant-dernier roman, « Plage de Manaccora, 16h30 », le héros est un écrivain nommé Voltaire. Et très clairement, Jaenada a décidé de se prendre pour l'illustre philosophe des Lumières. Même goût pour les cold cases et les réhab' (Henri Girard et Lucien Léger valant bien le Chevalier de la Barre ou le vieux Calas), même rage devant l'injustice, même ratiocinations sur les problèmes de santé qui les occupent à leur corps défendu, et bien sûr, même recours à la logique et à l'ironie pour pourfendre les sots, les méchants et les cyniques. Jean Calas n'a pu tuer son fils ne seul ni avec des complices : ça doit même être pour ça qu'il est innocent. Jacques Salce lui, est parfaitement coupable, au moins d'être un nazi, même si « au lieu de conserver son orgueil et sa confiance de pionnier, il s'est pissé dessus et a fait tout ce qu'il pouvait jusqu'à sa mort, en pleurnichant, pour qu'on le prenne pour un grand résistant ». Et, il faut le dire, j'ai beaucoup, beaucoup plus ri en lisant « Au printemps des monstres » qu'en compulsant le « Traité sur la tolérance », et pas seulement parce que le premier, en nombre de pages, fait 10 fois le second.
Bon, Jaenada se prend pour Voltaire, c'est sûr, pourtant c'est à un autre écrivain que je n'ai cessé de penser. L'homme qui digresse, qui va à sauts et à gambade, qui n'écrit que par allongeails sans jamais supprimer une version antérieure : il y a du Montaigne chez Jaenada !
Comme lui, il transforme une chronique par l'ajout d'un substrat autobiographique. Comme lui, il ne retranche jamais rien à son texte mais ne cesse de le commenter au point de toujours sembler surpris par son lecteur au moment même de l'écriture (par exemple, après avoir cité le personnage d'Emma Peel, incarnée par Diana Rigg, il note « À la relecture : qui vient de mourir ». Ou bien, il râle contre une avocate qui ne répond pas à ses demandes et fait amende honorable quand elle se manifeste enfin, concluant « (Je pourrais effacer ce que j'ai écrit plus haut, mais non. Je l'ai attendu six mois, ce mail, quand même.) ». Et, tandis que Montaigne se nourrit des stoïciens qu'il pille et surtout met en pratique car les livres sont faits pour être vécus, Jaenada aussi s'est donné des maîtres qu'il cite encore et toujours : Troplain et Ivani qui, les premiers, ont écrit un livre sur les incohérences de l'affaire Taron mais aussi Modiano, qu'il croise sans cesse dans cette affaire hors-norme à laquelle est mêlé de loin le père de l'écrivain, au point qu'on finit par ne plus savoir si c'est la littérature qui imite la vie, ou l'inverse.
Et surtout, Jaenada , par l'écriture, ne cherche-t-il pas, tout comme son illustre devancier, à apprivoiser la mort ?
Plus il parle des protagonistes de son histoire, plus il s'émeut de modestes points communs qu'il découvre (« le 25 mai, elle est confiée à la paroisse catholique de Saint-Potin (c'est ma date anniversaire et je travaille à Voici, il n'y a pas de hasard »). Jusqu'à, en lisant les lettres de Solange, dont la photo orne la couverture du livre, s'exclamer « [Solange aime bien les parenthèses.] »
(Sujet de thèse pour mes vieux jours : explorer l'utilisation différenciée des parenthèses et des crochets dans ce fichu bouquin)
Jaenada parle de vies injustement fracassées et s'identifie à elles : c'est sa façon de conjurer le sort. Ou de s'entraîner à vivre la tragédie qui nous pend tous au nez, par excès de cholestérol, grosse colère d'un éditeur exaspéré mettant à mort son poulain ou irruption du rouleau compresseur de l'injustice : « Je ne suis pas mort – joie. (j'aime (façon de parler) penser, en écrivant, en regardant mes doigts bouger sur le clavier (il faut que je me coupe les ongles) qu'un jour, dans quelques années (ou dans trois semaines), un lecteur dans son lit à Bastia, une lectrice dans un TGV vers Lyon, liront les premiers mots de ce chapitre et penseront : « Ben si. ») »
Alors voilà. le petit Luc Taron est mort. Solange est morte. Lucien Léger aussi. Et Jaenada, à vrai dire, ne se sent pas très bien. Mais il est vivant. Et nous aussi, de nous être indignés et d'avoir ri avec lui.
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Au printemps des monstres ne se lit pas facilement, malgré le style plus qu'agréable de l'auteur et son remarquable sens de la narration : Philippe Jaenada a rendu accessible une affaire dont le dossier pesait 19,5 kilogs, avant les recherches entreprises par l'auteur et par ceux qui l'ont devancé.
Le 26 mai 1964, un petit garçon de onze ans, Luc Taron, rentre chez lui. En entendant une réflexion de sa mère, il fait aussitôt demi-tour. le soir, il n'est toujours pas rentré. Croyant à une fugue (il en a déjà fait deux), les parents n'alertent pas immédiatement la police.
Le lendemain, à cinq heures du matin, le corps de l'enfant est retrouvé dans les bois de Verrières-le-Buisson.
Un homme mystérieux revendique l'assassinat, commet des erreurs, est arrêté. Lucien Léger, un infirmier à l'hôpital psychiatrique de Villejuif, avoue le meurtre avant de se rétracter. En 1966, il est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. Il sortira en 2005, après 41 ans d'emprisonnement. Il mourra en 2008.
Fin de la première partie du livre qui nous replonge au milieu des années 1960, comme si nous avions vécu ces moments, en lisant le journal, comme tout le monde, enfin presque.
Il n'y a pas de mots pour décrire la mort d'un enfant, ils sont tous trop faibles. En revanche, pour ce que nous apprend la deuxième partie, on peut ressortir les mots glaçants, effrayants, sordides et j'en passe.
Un des meilleurs livres de la rentrée littéraire.

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Il faut s'accrocher!

749 pages où tout est disséqué, remué, contrarié…
Philippe Jaenada cherche, gratte, analyse l'une des grandes interrogations du XXème siècle et jusqu'à nos jours : qui a réellement tué le petit Luc Taron dans la nuit du 26 au 27 mai 1964?

Et Philippe Jaenada, avec cette plume qui lui est propre, nous emmène dans une étude acharnée des faits mais aussi des mensonges, des contradictions, des inconnues qui nous laissent à bout de souffle et au plus haut degré du doute…

Pour lui, Lucien Léger (41 ans de prison) n'est pas le tueur même si sa conduite (auteur de lettres qui ont apeuré la France) et même s'il a participé d'une manière ou d'une autre à cet enlèvement.
Il nous emmène, avec force de détails, force d'incongruités dans les témoignages, force de gens troubles (parents, « amis »), force de relever les sous-entendus de certaines lettres échangées entre Léger et sa femme Solange, il nous emmène à sa conviction.

Les manquements dans l'enquête, les pistes trop tôt abandonnées ou négligées, l'attitude du premier avocat, la dérive de certains médias, son influence sur l'opinion publique, les jugements incorrects et hâtifs de la foule, les personnes concernées dont le passé révèle bien des anomalies… tout est montré, souvent démontré.

Philippe Jaenada a un véritable talent pour raconter les faits-divers et plonger le lecteur dans l'ambiance d'une époque.
Il faut un fameux esprit de synthèse pour ordonner tous ces documents et donner une version compréhensible pour le lecteur d'aujourd'hui.
C'est un véritable tour de force : il se déplace sur les lieux pour s'imprégner, il lit et relit les documents (procès-verbaux, articles de presse, lettres…), il cherche des aides ou des confirmations auprès de ses prédécesseurs et/ou collègues, etc…

Pour alléger l'atmosphère, il n'hésite pas à introduire des éléments de sa vie personnelle qu'il traite avec auto-dérision.

Une idée se dégage du livre dans le sens où des gens peu clairs, troubles, fuyants, au passé douteux finissent par s'en tirer sans problème et cela a été vrai dans les années 6O et l'est toujours aujourd'hui.

La troisième partie du livre consacrée entièrement à l'épouse de l'Étrangleur (Solange) lui confère une place qui lui a toujours été niée (mère-médecins-psychiatres-belle-famille-juges…), à l'exception de deux familles qui l'ont accueillie dans sa jeunesse.
C'est tout à l'honneur de Philippe Jaenada et de sa capacité d'empathie.

Mais n'oublions jamais la victime principale, le petit Luc Taron qui paya de sa vie ce qui demeure un mystère chez les survivants.

On sort de cette lecture étourdis par ce noeud de vipères, troublés par les non-réponses, sceptiques quant au déroulement des faits et en interrogation : coupable, pas coupable? Qui? Comment? Pourquoi?

Reste une vérité judiciaire mais est-elle La Vérité?


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le 27 mai 1964, le corps d'un petit garçon de onze ans est découvert dans un bois de la banlieue parisienne. Luc Taron avait disparu la veille au soir. C'est au matin, en allant déclarer sa disparition, que les parents apprennent que leur fils a été retrouvé mort étranglé.

L'enquête commence et la France a peur. Quelques jours plus tard les radios et les journaux reçoivent des lettres d'un corbeau s'accusant du meurtre, rapidement Lucien Léger, un étudiant infirmier, est arrêté. L'étrangleur derrière les barreaux la France rassurée peut respirer.

Quelques mois plus tard celui qui deviendra le plus vieux détenu de France se rétracte, non il n'a pas tué le petit Luc Taron, il a écrit les lettres et connait l'assassin mais ne peut révéler son nom. Trop tard la machine judiciaire est en marche et rien ne l'arrêtera.

L'intrigue est exposée et les acteurs sont en place, mais comme l'inspecteur Philippe Jaenada va rentrer en scène, oublions tout ce que je viens d'écrire, avec lui remontons le temps et retrouvons les images d'une France en noir et blanc. Philippe Jaenada le Willy Ronis de la littérature. Livre enquête, roman historique et véritable somme des acteurs anonymes qui peuplent notre beau pays au sortir de la guerre. Etude sociologique d'une France moyenne voir médiocre et de ses habitants prêts à tout pour se frayer un passage dans ces années de reconstruction, vraiment prêts à tout certains de ses habitants.

Vrais collabos, faux résistants, anciens de l'OAS, juges, policiers, avocats ou journalistes paresseux, la deuxième partie de « Au printemps des monstres » est une édifiante plongée en apnée dans la fosse septique de la France des trente glorieuses.

Jaenada est un vrai romancier, chez Baz'art on le sait depuis longtemps, mais dans ses derniers ouvrages il effectue aussi un vrai travail de mémoire.

Archiviste méticuleux, chercheur compulsif, gratteur de vernis opiniâtre, il parcourt la France à la recherche de la vérité et son obsession devient contagieuse.

Ce qu'il découvre et qu'il distille, au sujet de l'Affaire Luc Taron, durant sept cents pages provoque chez le lecteur une véritable et très saine addiction, son roman devient impossible à lâcher.

Mais ne nous trompons pas, Philippe le preux, n'est pas du tout un moralisateur cynique et ricanant, c'est avant tout un romancier humaniste qui a aussi le talent d'être très, très drôle, ses digressions autofictionnelles et autres apartés du coq à l'âne sont d hilarantes et tendres bouffées d'oxygène.

N'en déplaise aux tristes tribuns qui encombrent nos médias en cette fin d'année, non la France n'était vraiment pas plus belle avant.

Après avoir pataugé dans le marigot pestilentiel de l'après-guerre, Jaenada le bienveillant, termine son enquête par le triste résumée de la triste vie de Solange l'épouse de Lucien Léger, actrice malgré elle d'une sinistre pièce de théâtre. La jeune femme au sourire espiègle de la couverture, c'est elle l' héroïne oubliée de cette terrible histoire.


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Jaenada semble s'être fait une spécialité des affaires judiciaires troubles, non résolues ou dont on peut douter que le jugement soit juste, conforme à la vérité.
Il s'agit ici de revenir sur la mort d'un enfant de 11 ans et sur les 41 années de prison de Lucien Léger.
Le 26 mai 1964, Luc Taron rentre de l'école, un peu en retard. Il ressort après avoir volé de l'argent dans le porte-monnaie de sa mère et… disparait. le lendemain, son corps est retrouvé dans la forêt de Verrières, étouffé.
Pendant un mois, un homme se revendiquant comme « l'Etrangleur » envoie des lettres, des messages délirants, téléphone aux parents, à la police, aux médias, choquant la France entière.
Lucien Léger, arrêté, avoue. Il est l'Etrangleur.
La machine judiciaire se met en marche. L'affaire semble claire. Et pourtant…
J'ai retrouvé Jaenada avec grand plaisir. Non pas que je connaisse bien l'auteur mais « La serpe » m'avait tellement séduit.
Ici encore, Jaenada va, de manière presque obsessionnelle, tout relire, tout décortiquer, se rendre sur tous les lieux, reprendre toutes les pistes, en découvrir de nouvelles, accéder à de nouvelles sources et bien sûr… faire des digressions.
Après s'être consacré à une 1ère partie factuelle de l'affaire, de la mort du gamin à celle de Lucien Léger, il s'attache dans une grosse 2ème partie à reprendre toutes les pistes troubles, toutes les anomalies qu'il a pu relever (et ne se prive pas de rappeler ce qu'il doit au travail colossal de ses prédécesseurs sur cette affaire Stéphane Troplain et Jean-Louis Ivani, ni à sa perle de chercheuse-fouineuse Wats).
Et les voilà les monstres !
Lucien Léger avait déclaré dans un de ses messages déments « Je suis de la graine qui pousse au printemps des monstres ». Pour Jaenada, les monstres ne sont pas ceux que l'on croit. Tous les protagonistes sont monstrueux. Et effectivement il va lever bien des lièvres dans le genre abject… les parents, les « amis » de Lucien, les avocats, la police…
Sauf, sauf Solange, l'épouse, la soi-disant « folle » qui mourra dans le dénuement et la solitude la plus profonde. Il lui consacrera toute sa dernière partie.
Certes, Lucien n'est pas très sympathique (ses forfanteries lors de son arrestation, de son jugement sont largement douteuses) mais pour autant… 41 ans de prison…
Si cette nouvelle enquête mobilise un nombre très important d'intervenants, Philippe (allez, nous sommes de la même année et j'en sais désormais assez sur sa petite santé que je pense pouvoir l'appeler par son prénom) se fait fort de toujours rappeler qui est qui afin que nous ne soyons jamais perdus (enfin presque).
Si cette nouvelle enquête ne permet pas de résoudre cette affaire, s'il reste de nombreuses zones d'ombre, il n'empêche que les indices, les déductions de Philippe (j'insiste) m'ont permis de me faire mon opinion : Lucien Léger n'a pas tué Luc Taron.
Pour finir, un mot sur les digressions qui en agacent quelques-uns. Personnellement, je trouve les interventions, les jugements, les fameuses parenthèses, de Philippe (😊)drôlissimes . Non seulement, il y va carrément sur les protagonistes notamment sur les salauds, il livre des petites remarques au fil de son écriture (et de sa relecture) sur des évènements liés à son contexte d'écriture mais surtout il crée des ruptures salutaires dans un récit dont le fond est si glauque que sans elles il deviendrait pesant.
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Philippe Jaenada est né le jour où Luc Taron, 11 ans, a disparu. Il sera retrouvé le lendemain, mort, dans un bois de l'Essonne. Un homme va alors commencer à jouer avec la police et les médias, passant des coups de fil et envoyant des lettres, s'accusant d'être l'étrangleur. Il sera arrêté, jugé, emprisonné, longtemps, très longtemps.
Un peu plus de 50 ans plus tard, Philippe Jaenada trouve l'histoire intéressante, creuse, s'interroge, enquête,... et si c'était là un des plus gros scandales judiciaires français du 20e siècle?

J'aime beaucoup les romans de Philippe Jaenada. Parce que c'est toujours très intéressant, bien documenté et qu'il y met une grosse part de lui-même. Dans l'enquête bien sûr (il est allé se promener dans les bois de Verrières à la poursuite du fantôme de Luc Taron, il a réservé les chambres d'hôtel qui servaient de logement à certains protagonistes sans le sou dans ces années 60, il a arpenté le métro parisien...) mais aussi dans le bouquin. C'est vrai qu'il digresse beaucoup, qu'il aime bien nous parler de sa vie, de ses petits et gros bobos, des voitures qu'il loue pour ses enquêtes,... Et moi j'aime ça, parce que ça apporte de l'humanité dans un récit qui ne fait qu'en perdre tout au long des pages. Et ça allège, par un humour pince sans rire et souvent ironique dans lequel il excelle.

Pour ce Printemps des Monstres, l'auteur nous emmène donc fouiller dans le passé, à la recherche du destin d'un garçon qui aura eu onze ans pour toujours et de celui qui a payé par la prison un crime qu'il n'a peut-être pas commis. On sent à travers l'ensemble que Philippe Jaenada est aussi très touché par Solange, la femme du criminel, qui aura eu une vie de misère jusqu'au bout alors qu'elle aurait peut-être mérité qu'on mette un peu de paillettes dans sa vie.

Le récit est dense. Ca fourmille d'informations, de détails, dans l'ordre, dans le désordre. Et sur les détails, on rajoute les couches de réflexions, de suppositions, d'hypothèses, de certitudes,... On déterre les mensonges, les incohérences, les invraisemblances, les lâchetés....
J'aime quand quelqu'un ose s'attaquer à la petite histoire, j'aime quand un auteur titille mon esprit logique, remet en question l'acquis...
Il faut dire que j'avais fait confiance à Philippe Jaenada et n'avais pas lu la 4e de couverture, me gardant la surprise totale. Et j'ai pris la version audio parce que je trouve ses bouquins plus digestes sous cette forme.

Donc, la première partie déroule chronologiquement les faits, tels que les français ont pu les suivre à l'époque. Et au moment où le procès est clos, l'appel impossible, la réclusion confirmée.... il restait encore presque une trentaine d'heures d'écoute. Qu'est-ce qui pouvait encore bien se passer? Et c'est là que la sentence jaenedienne est tombée: s'il était sûr d'une chose, c'est que Lucien Léger n'avait pas tué Luc Taron !
Si j'avais été intéressée par ce qui précédait, la suite m'a littéralement captivée. Parfois, les monstres ressemblent à monsieur et madame Tout le monde, parfois les monstres, c'est les voisins, parfois, les monstres, ils passent à la télé,... Parfois, les monstres ne sont pas ceux qu'on croit.

Je salue une nouvelle fois le travail remarquable de Philippe Jaenada et j'attends avec impatience sa prochaine enquête.



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Vendredi 3 septembre au matin, il me restait une cinquantaine de pages d'Au printemps des monstres à lire (quand j'aime un gros livre et que j'approche de la fin, je ralentis pour faire durer le plaisir), et coïncidence (Philippe Jaenada les aime, et moi aussi) : au même moment à la radio, l'écrivain expliquait à Augustin Trapenard d'où lui était venue l'idée de s'intéresser au meurtre du petit Luc Taron le 27 mai 1964, à l'arrestation de Lucien Léger, sa condamnation à perpétuité (malgré le manque de témoins, de preuves, de mobile), sa libération conditionnelle après quarante années en prison (Léger est sorti à soixante-huit ans à l‘automne 2005 ; il meurt en juillet 2008).

Tout ce que Philippe Jaenada a dit à Trapenard et ses auditeurs ce matin-là, est dans le roman :
— ses trois années (“sept jours sur sept, cinquante-deux semaines par an”) de recherches minutieuses et lectures de comptes rendus d'audience, témoignages, interrogatoires, articles de presse, etc. : des dizaines de milliers de pages ; ensuite, une année d'écriture et de relectures du manuscrit
— sa vision des années 60, noires, pénibles, difficiles, loin des images colorées, twist et rock'n'roll, auxquelles on pense d'habitude
— son regard sur la monstruosité, le mensonge, les apparences, le poids de l'opinion publique ; les faits-divers ont en eux-mêmes peu d'intérêt (haine, violence, bêtise, inhumanité), dit-il, mais en se donnant le temps et le recul nécessaires, en creusant patiemment autour, on (lui) peut en tirer des leçons et regards sur la société, les gens, les mécanismes de l'âme humaine.


Par contre, j'ai remarqué que Philippe Jaenada n'avait rien dit à Trapenard (le format d'entretien de Boomerang est court !) sur Solange.
Tant mieux pour moi, ça me laisse un peu de champ. Mais ça m'a surprise. La troisième et dernière partie du roman (pp. 615-749) porte en titre son prénom ; il n'y parle presque que d'elle ; c'est une évidence pour moi : PJ est tombé sincèrement et tendrement amoureux du petit fantôme de l'épouse de Lucien Léger, le soi-disant "Étrangleur". Il a peut-être voulu garder ça pour lui, trop intime pour la radio ! Je parie que c'est lui seul qui a choisi la photo de couverture, inattendue mais si parlante.
Il compose pour Solange (1938-1970) un portrait-tombeau sensible, qui laissera enfin une trace émouvante de celle qui n'a jamais eu de place dans la société, depuis son enfance fracassée, jusqu'à la fosse commune d'un cimetière de banlieue non identifié où son corps usé de trente-et-un ans a été inhumé.
Personne n'avait jamais parlé d'elle en bien avant Philippe Jaenada (sauf Lucien Léger dans sa correspondance).
Dès le début de l'affaire, il est clair qu'elle n'y est pour rien. Son alibi : elle est "soignée" depuis de longs mois à l'hôpital psychiatrique de Villejuif. La presse fait aussitôt d'elle une folle, une handicapée mentale (sans doute aussi par analogie avec son mari), une inutile. Ce qu'elle n'est pas encore, et qu'elle résistera de son mieux à ne pas devenir, malgré les pressions grandissantes, puis l'abandon total de tous.
Pour PJ, elle est celle qui a le mieux compris le comportement aberrant de Lucien Léger, ses mensonges, ses entêtements, ses revirements.
Mais encore pires que les journalistes, ce sont les enquêteurs, les avocats, les juges, qui vont écarter sans égards (euphémisme ou litote) la jeune femme (soi-disant à cause de sa santé (elle n'a même pas été appelée à témoigner au procès de son mari)), et peu à peu la réduire à une ombre condamnée à s'effacer par leur monstrueuse inhumanité (elle ne s'est pas suicidée).
“ En lisant sa correspondance, je me suis rendu compte qu'elle était au contraire tout à fait sensée, douée d'une capacité salutaire de détachement, fine et spirituelle, atypique mais remarquablement lucide, et protégée par son humour. ”
(et en matière d'humour, de détachement et d'autodérision, PJ est un connaisseur, un vrai)

Je ne suis pas d'accord, d'avance, avec ceux qui diront que ce à quoi Philippe Jaenada travaille depuis 2010 (Sulak, La Petite Femelle, La Serpe, Au printemps des monstres), ce n'est plus de la littérature.
Si, c'en est.
J'ai dû le lire quelque part mais je trouve ça juste : c'est de la "littérature du réel“.
Ce ne sont pas des biographies, pas des documents, pas des contre-enquêtes (sorry Augustin) ; les choses ont été jugées, les peines exécutées, les personnages principaux sont morts. C'est trop tard pour eux. Sauf pour espérer corriger leur mauvaise réputation posthume toujours vivace, et pour comprendre si possible les incohérences qui parsèment leurs histoires, et qui apparaissent encore mieux avec le temps. Aussi, surtout, pour pointer les erreurs de ceux (avocats, juges, journalistes) qui ont eu leur sort entre leurs mains.

Pas non plus d'accord, avec ceux qui diront : sur la page de titre figure "roman", mais où elle est, la place de la fiction dans un tel livre ?
Tout ce que Philippe Jaenada raconte du fait-divers et de ses suites est vrai, pas truqué, mais par contre pour la narration entre les lignes de ses démarches, de ses voyages de poche, de ses petites mésaventures un peu pathétiques, il est libre d'inventer, de déformer, d'exagérer, ou pas ; et il ne s'en prive pas ! Il y en a il me semble moins que dans La Serpe, mais elles sont toujours une respiration plaisante, parfois hilarante.

Toujours pas d'accord, avec ceux qui remarqueront finement qu'une grande partie de texte est reprise telle quelle d'extraits de documents judiciaires ou journalistiques : où il est alors, le style de l'écrivain ?
Ok. C'est vrai qu'il y a à longueur de page dans APDM, des passages entre guillemets qui ne sont pas des mots de Philippe Jaenada ; mais c'est bien lui qui les a choisis, qui les a organisés pour qu'ils s'articulent avec précision, avec le plus de logique possible, et servent ainsi son projet de dingue...

Les vrais critiques littéraires vous parleront mieux que moi des liens de APDM avec les romans de Modiano (mais PJ est bon gars : il signale souvent, voire toujours, ces références) ; encore plus fort : il y a des liens avec Modiano lui même en la personne d'Alberto, son père, qui fait une apparition pour de vrai dans le milieu interlope auquel Lucien Léger a peut-être été mêlé de plus ou moins loin ; moi, avant, j'avais relevé les noms des tout premiers "témoins" dans l'affaire, qui sont plus modianesques que nature : Jacqueline Krolik, David Beck, Jacques Farge, on rêve, non ? pourtant c'est vrai.

J'ai mis une semaine (jours ouvrés) pour lire APDM ; j'ai pris des notes, je me suis parfois perdue, mais chaque fois retrouvée... Philippe Jaenada reconnaît lui même que par moments c'était un vrai "fourbi", son truc, qu'il n'y comprenait plus rien... mais à force de patience (pour lui comme pour moi !), sans vouloir dire que tout s'éclaire, il se dégage, à la fin de cette énorme lecture, un sentiment d'apaisement (un peu triste quand même) qui tranche certainement volontairement de la part de l'auteur avec l'effroi, l'horreur et la stupéfaction ressentis dans les premiers chapitres.


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