Quel incroyable roman que
le monde selon Garp !
Je n'avais jamais lu un livre si puissant, si profond, si violent, si cru, si dramatique et si comique à la fois.
John Irving est un orfèvre, et il traite les thèmes les plus complexes de l'Homme avec une incroyable vraisemblance. Personnellement, j'ai eu l'impression d'avoir affaire à un ascenseur émotionnel tout au long de ma lecture, qui, cela est certain, ne laissera personne indifférent !
Parlons tout d'abord du premier chapitre, qui relate la conception de S.T. Garp. Nous faisons la connaissance de Jenny Fields, la maman de Garp, un personnage haut en couleurs et dont l'avis tranché sur les hommes définira son entière existence. Infirmière dans un hôpital et future auteure de « Sexuellement suspecte », elle affirme en 1942 vouloir un enfant, mais pas de mari : « Dans ce monde à l'esprit pourri, une femme ne saurait être que l'épouse ou la putain d'un homme — du moins ne tarde-t-elle pas à devenir l'une ou l'autre ». C'est dans cet hôpital de Boston que Jenny rencontrera le futur père de son enfant, un soldat blessé (réduit à l'été végétatif) qui souffre d'érections intempestives. Elle profitera de l'une de celles-ci pour avoir un rapport sexuel avec le soldat Garp (sergent technicien) et nommera son fils S.T. Garp en l'honneur de son défunt père, qui ne survécut pas à ce rapport.
Après la naissance de son fils, Jenny va devenir infirmière au collège de Steering, où Garp fera ses études. Il vivra ici ses premières amours (Helen), ses premiers rapports (avec Cushie Percy) et ses premières batailles (avec le chien des Percy, dont ni Garp, ni le chien ne sortirent indemnes ; chacun y laisse un morceau d'oreille). Comme le dira Jenny « Oreille pour oreille ».
C'est ainsi que nous entrons dans
le monde selon Garp, et que nous découvrons ces deux personnages tout à fait inhabituels qui vivent des péripéties plus cocasses les unes que les autres. A mesure qu'il grandit, Garp se retrouvera en permanence face au sexe et plus particulièrement à la concupiscence (le grand mal de ce monde d'après sa mère), que ce soit la sienne ou celle de sa femme (Helen), et de leur entourage.
J'ai notamment adoré plusieurs scènes, que Irving dépeint avec un humour hors-pair et qui dénonce les travers de notre société :
- le couple Fletcher : Helen travaille avec Harrison, qui trompe sa femme avec une de ses étudiantes qu'il trouve « extraordinaire ». Sa femme Alice est au courant de la liaison et confiera son malheur à Garp, qui lui-même en parlera à Helen. Pour aider leur couple d'amis, Helen décidera qu'elle ferait voir à Harry ce qu'est une vrai femme extraordinaire en entamant une liaison avec lui, et Garp fera de même avec Alice.
- L'étudiant Milton, avec qui Helen entamera une liaison rapide et qui finira tragiquement. Garp découvrit la liaison de sa femme un soir et lui ordonna de rompre avec son amant. Pour ce faire, Garp laissera deux heures à sa femme pour appeler le jeune Milton, pendant que Garp emmènera leurs deux enfants, Duncan et Walt, au cinéma. Sur le chemin vers le cinéma, ils croiseront le jeune amant fraîchement éconduit, au volant de sa Buick, ce qui rendra Garp furieux. Bien qu'il ait tenté de tenir la promesse à ses enfants de voir un film, il ne peut s'empêcher de quitter le cinéma et foncer chez lui. En arrivant telle une furie devant son garage, il emboutit la voiture de son ennemi ; Walt meurt, Duncan perd un oeil, et l'amant de sa femme (qui lui faisait une gâterie) y laissera les ¾ de son pénis.
Au-delà de cette trivialité, il y a une réelle profondeur, manifestée par l'omniprésence de la littérature. Jenny n'écrira qu'un seul livre, mais Garp en écrira plusieurs. Au fur et à mesure de ses oeuvres, on voir Garp changer, se questionner, écrire en imaginant des personnages farfelus mais tragiques (La Pension Grillparzer), puis écrire de manière plus autobiographique, avec notamment son dernier roman, le Monde selon Bensenhaver.
Le génie de
John Irving est pour moi à ce moment précis : les critiques de Garp n'ont de cesse de chercher une profondeur psychologique et sociale à son oeuvre, qu'il a eu le malheur d'inventer. Je trouve cela si vrai et tellement d'actualité ! de nos jours, il est impossible de faire quoi que ce soit sans qu'on y cherche une raison sociologique (mimétisme ? besoin d'appartenance ?) ou psychologique (traumatisme dans l'enfance ?).
Bref, j'en ai déjà beaucoup dit et il me semble pourtant n'avoir pas couvert un centième de ce que j'ai à dire de ce chef d'oeuvre ! Je trouve à Irving un humour d'une intelligence clairvoyante qui lui permet de critiquer la société qu'il a observée de son oeil aguerri. Tout y passe : la violence, la mort (le « crapaud »), l'amour, le sexe, la famille, les regrets, le féminisme, les mutilations, et tant d'autres.
En deux mots : lisez-le !