Les aventures de la chevaliere

Il fallait que je parle ici des "Aventures de la Chevalière"!
Ce roman que j'ai tellement aimé, que j'ai adoré même, a bercé la fin de mon enfance, une bonne part de mon adolescence et aujourd'hui encore, à présent que j'ai enfin réussi à mettre la main sur un exemplaire (ainsi que sa suite! Mais ça, c'est une autre histoire!) trouvé dans un vide grenier, quand je le feuillette voire le relis, il me passionne et me met en joie.
Alors oui, j'étais obligée de parler de ma Chevalière préférée ici sur Babelio et de lui rendre hommage, ainsi qu'à André Hodeir, son auteur.

Par ailleurs, ce roman absolument génial n'est pas seulement mon amour d'enfance, ma Madeleine de Proust...
Non, c'est aussi celui par lequel je suis pleinement entrée dans les romans historiques et de capes et d'épées, alors que j'avais neuf ou dix ans.
C'est aussi celui par lequel je suis entrée au XVI°siècle et en guerres de religion, bien avant Alexandre Dumas, "La Reine Margot" et "La Dame de Monsoreau"! C'est dire!

Mon histoire avec Ermengarde qu'on surnomme encore à l'orée de ce premier tome de ses aventures "La Petite Chevalière" commence dans mon village d'enfance. C'est un tout petit village comme il en existe tant d'autres mais moi, je le trouve plus beau que tous, encore aujourd'hui. Il est si petit qu'il ne compte qu'une boulangerie qui fait épicerie aussi, une école où nous ne sommes pas plus de quatre-vingt cinq écoliers, un bar qui a fermé depuis, une petite salle des fêtes où je suis des cours de danse et une toute petite bibliothèque mignonne comme dans un roman anglais. Je m'y rends religieusement chaque dimanche matin sur mon vélo et je passe un temps fou à fouiner dans les rayonnages. Je tombe un jour sur ce livre déjà un peu vieillot. La couverture m'intrigue instantanément ou presque: on y voit une jeune fille, blonde, vêtu d'un pourpoint d'homme qui brandit une épée. C'est l'époque des Minikeums et en ce moment, l'émission diffuse un dessin animé qui me passionne: "Lady Oscar", l'histoire passionnante d'une jeune fille élevée comme un homme par son père afin de servir plus tard la Reine Marie-Antoinette. Déjà, les fictions historiques m'attirent, déjà les héroïnes qui font aussi bien que les hommes me plaisent, surtout qu'elles vivent toujours de belles mais tragiques histoires d'amour avec les plus beaux gentilhommes... Alors, forcément, j'ai emprunté "Les Aventures de la Chevalière" une première fois (il y en aura cent autres et la bibliothécaire n'en reviendra jamais!). Je l'ai dévoré. Je l'ai adoré.

Le roman d'André Hodeir, éminent musicien et compositeur de jazz autant que musicologue, auteur jeunesse à ses heures perdues, s'ouvre en 1572 dans la cour du Louvre. le roi Charles IX a organisé, en l'honneur des noces de sa soeur Marguerite, un grand tournoi au cours duquel s'opposent en duel les plus fines lames du Royaume de France, catholiques comme protestantes. Une petite silhouette s'avance jusqu'aux inscriptions. Alors que le gentilhomme qui tient la plume lui demande le nom du parent qu'elle souhaite inscrire, elle répond que c'est elle qui se battra. Les gentilhommes alentours lui rient au nez: quoi? Une fillette de douze ans à peine affronter Bussy d'Amboise et autres chevalier d'Epernon? Avec ses cheveux d'or filé et ses grands yeux verts, sa place est dans les tribunes, pas sur la lice! La fillette tient bon. Elle se battra et ses aventures sont lancées avec ce premier chapitre où l'on croise déjà le mélange de personnages historiques et de personnages fictifs qui fait des merveilles en littérature: Charles IX, le Prince de Navarre, Catherine de Médicis pour les premiers; Armando le pâtissier et le Baron de l'Escalope pour les seconds.
On ne saura pas grand chose de notre héroïne, si ce n'est qu'elle est de petite noblesse protestante, que son frère aîné n'aimait pas l'escrime et que c'est elle qui a profité des leçons prodiguées par un vieux maître d'armes qui avait connu Charles VIII.
En revanche, depuis son premier duel, on suivra chacune de ses aventures: comment elle échappa au Massacre de la Saint-Barthélémy, comment elle mit son épée au service d'Henri de Navarre qui la "prêta" tantôt à Henri III, comment donc elle servit ses deux rois, comment elle se battit en duel et fut des grandes ambassades, comment elle voyagea par les grands chemins, comment elle tomba amoureuse par deux fois, comment elle pleura parfois, comment elle assista au Duel des Mignons en 1578, comment elle échappa à l'Inquisition et comment l'amour pour la pâtisserie d'un prince ligueur la sauva. Comment elle traversa son siècle.

"Les Aventures de la Chevalière" est un roman truculent, trépidant qui ne laisse aucun répit. Pour autant, et de cela, je me suis rendue compte en le relisant adulte, c'est aussi un roman extrêmement exigeant pour un roman jeunesse.
Exigeant, il l'est pour commencer d'un point de vue stylistique: le texte est très bien écrit, très riche. le vocabulaire est à la fois recherché, savoureux et désuet. La narration alterne entre des dialogues de théâtre agrémentés de leurs didascalies parfois et des chapitres purement romanesques. le tout n'est pas exempt de poésie, ni de jeux de mots.
Exigeant aussi pour le contexte historique aussi fouillé que précis: là où un roman jeunesse moins pointu se contenterait de la Saint-Barthélemy, ici, on trouve une mention de chaque évènements importants des premières guerres de Religion. de plus, des personnages historiques ou des anecdotes secondaires trouvent ici une place de choix: les mignons, l'Escadron Volant, Michel de Montaigne, le duel des Mignons, le siège de la Rochelle de 1573... Enfin, le vocabulaire fait lui aussi preuve de précision: parpaillots, papistes, ligueurs, huguenots... Je les ai maîtrisés avant de connaître mes verbes irréguliers...!
Et puis, il y a cette incroyable virtuosité, cette inventivité d'André Hodeir , cette verve et cette poésie, mais aussi cette capacité à passer d'une tonalité à l'autre en quelques pages. En effet, "Les Aventures de la Chevalière" est une histoire à la fois sombre, tragique (je pleure encore en lisant certains passages!) mâtinée de passages d'une drôlerie à toutes épreuves. le trio des cousins Estragon, Escargot et Escalope est un régal et les facéties du troisième me font toujours pleurer (de rire).
Ce que j'aime ce roman... Bon sang! Et je suis toujours surprise de constater à quel point il est méconnu, ça me rend même un peu triste quand j'y pense... Je n'ai personne avec qui en parler, sauf les rares lecteurs que j'ai converti, certes. Mais ça ne compte pas vraiment, si?
On termine "Les Aventures de la Chevalière" avec un gout de trop peu et l'envie de s'y replonger chevillée au corps, tant et si bien d'ailleurs que je me souviens l'avoir emprunté et lu deux ou trois fois de suite...
Alors vous imaginez bien ma joie quand quelques semaines plus tard, les bibliothécaire m'ont tendue ce qui ressemblait furieusement à un tome 2 qu'elles avaient trouvé (et emprunté pour moi!) lors du passage du Bibliobus: "La Chevalière et le Panache Blanc".