p.31-2.
L’exploitation industrielle des forêts tropicales est conduite par des groupes financiers qui n’ont aucun idéal, aucune éthique, aucune parole mobilisatrice, et dont les moteurs sont la technologie et le profit. Par prudence, ils pratiquent le greenwashing, comme j’ai pu le constater en 2012 sur un chantier de Rougier-Gabon, dans l’Ogooé-Ivindo : œuvrant dans la légalité la plus complète ce chantier est titulaire du label Forest Stewardship Council (FSC), censé garantir le respect de la forêt exploitée ; mais les experts décidant du maintien du label n’arrivent plus à l’improviste comme par le passé : on sait d’avance quand ils vont venir, et les responsables ont donc le temps de mettre de l’ordre ; de toute façon ces experts ne verront que ce que l’on veut bien leur montrer : il suffit de bloquer avec un tronc tombé les pistes qui mènent aux parcelles saccagées.
p.126.
D’ailleurs nous avons pris l’habitude de considérer comme critères de la vie des traits purement animaux : le mouvement et l’expression sonore. Il en résulte que, pour beaucoup d’entre nous, les plantes ne sont pas vivantes puisqu’elles ne bougent pas et ne font pas de bruit. Serions-nous des plantes, j’imagine que notre biologie aurait comme point commun culminant la forme végétale et que nous verrions dans la plupart des animaux de simples prédateurs aux mœurs étranges et éclectiques – une définition qui, on le remarquera, s’applique assez bien à l’espèce humaine.
Ce que le scientifique feint d'ignorer – ou qu'il ignore peut-être – c'est que sa démarche intellectuelle est la même que celle du poète et des artistes en général. Les psychologues l'ont démontré, toutes ces activités innovantes reposent sur une mentalité commune, où se mêlent une complète disponibilité d'esprit, beaucoup d'imagination, une exigence de gratuité, la capacité de ne pas se satisfaire du réel tel qu'il est, un certain dédain envers la rigueur, une préférence pour l'esthétique et l'amusement, et enfin une bonne dose d'humour pour surmonter les échecs.
Cependant, une différence sépare le travail du scientifique de celui de l'artiste : le soin apporté à la mise en forme du résultat. Le poète, le peintre, le musicien où le romancier présente l'œuvre achevée telle qu'elle est, sans songer à masquer qu'ils doivent une part de leur inspiration a une sorte d'ivresse parfois acquise par des moyens variés [...].
Rien de tout cela dans la "recherche scientifique" où il importe de sauver les apparences : après coup on met en forme les résultats pour les rendre présentables ; j'ai l'air de me moquer, mais il s'agit aussi d'une autocritique. Le produit final, un "article" qui sera soumis à une revue internationale ne doit rien laisser paraître des incertitudes des auteurs : le paragraphe "Matériel et méthodes" ne dit rien des détours de la pensée, des embardées du cheminement intellectuel, des affres de la découverte ni, bien sûr, des litres de café ou de whisky qui ont lubrifié les débats et donné aux esprits l'audace nécessaire ! Bien entendu, il y a eu beaucoup de bon au cours de ces années d'efforts, d'indiscutables émotions, de la joie à l'état pur, de saines altercations et de la franche hilarité, mais tout cela est trop humain pour une revue internationale et fera donc l'objet d'une véritable autocensure. Le scientifique actuel, comme jadis le prêtre, est méfiant envers la nature humaine et préfère apparaître, aux yeux extérieurs, comme un surhomme ou au moins comme un homme parfait.
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Nous devons, dit Claude Lorius, nous faire à l’idée de vivre sur une planète entièrement soumise, à l’être humain. C’est en vain que quelques écologistes isolés s’élèvent publiquement pour la défense des forêts tropicales ; Chico Mendes, Bruno Manser et bien d’autres encore ont payé de leur vie leurs activités en faveur de la défense de ces forêts.
03.05.18 - INTEGRALE - Zep, F. Hallé, D. Kennedy, J. Tassin, S. Avallone et G. Clément.