Après Issenheim
Et toi, Mathis, vieillard aux traits
de Paul Ermite – mais d'un destin bien autre –
longues pour toi les routes
après Issenheim, avant Halle
parmi les honneurs au début (mais le dégoût
te prit bientôt des injustes splendeurs
des cours), puis en fuite,
te mêlant au flot rageur
des paysans insurgés, ou à l'impuissante
foule éplorée que la dure vengeance
des grands chassaient de ses maisons.
Un perpétuel galop
de chevaux sur des champs dévastés,
la faim, l'haleine des contagions et partout
répandues les semences de mort... Quel remède
pouvaient donner aux horribles blessures,
aux fièvres ou même seulement à l'angoisse
et la détresse de l'âme
les douces, les humbles herbes que tu vendais
pour survivre ? La marjolaine,
la rue, le romarin odorant, l'héritage
de tes jours parmi les moines d'Issenheim.
As-tu cru au moins à cette consolation ? Ou bien te voyais-tu
fuir toutes choses
comme un épi dans la tourmente ? Mettais-tu
encore un but à ton errance fatiguée ?
La fontaine
Ton rêve lustral ! Puisque la pluie
lave le monde, et puisque les sources
jaillissent impétueuses
de son cœur obscur,
préparer un bassin pour recueillir
l'innocence de l'eau... Avec des ébats
de dauphins, peut-être, ou de pures colombes
sur la margelle historiée, et au centre des visages de marbre
qui de leurs lèvres énigmatiques
laissent couler un inlassable murmure.
Ta fontaine, jamais achevée, et à présent
avec toi perdue dans la nuit ! Toi seul
en connais le secret, toi-même tu es sa coquille,
l'oreille tendue à une écoute sans fin,
cependant que des veines invisibles traversent
en ses profondeurs la terre sans nom
où demeure celui
qui fut Mathis Grünewald –
dans une fosse de pestiférés, hors
les murs de Halle.
Le Retable D'Issenheim, Épilogue / Traduit de l'italien par Gérard Pfister – pp. 53-57