Lorsque viendra le printemps,
si je suis déjà mort,
les fleurs fleuriront de la même manière
et les arbres ne seront pas moins verts qu'au printemps passé.
La réalité n'a pas besoin de moi.
Fernando Pessoa
Le bonheur étant une notion directement rattachée à l'avis général, chacun entretient ses petites frustrations et en tire, si ce n'est du bonheur, la satisfaction d'être bien comme il faut.
Je suis entrée par la mauvaise porte et bien trop jeune dans le chaos d’une époque qui ne compte plus ses vaincu, qui ne se retourne même plus sur leurs dépouilles et les pousse du pied, hors de la vue.
Vous vous drapez dans une morale à géométrie variable, à géographie inégale.
Nous sommes sans doute de la même sorte, de la même espèce : celles qui se sont toujours tues et qui un jour ont tué.
On peut tout se permettre avec les gros. Leur faire la morale à la cantine, les insulter s'ils grignotent dans la rue, leur donner des surnoms atroces, se foutre d'eux s'ils font du vélo, les tenir à l'écart, leur donner des conseils de régime, leur dire de se taire s'ils prennent la parole, éclater de rire s'ils avouent qu'ils aimeraient plaire à quelqu'un, les regarder en faisant la grimace quand ils arrivent quelque part. On peut les bousculer, leur pincer le bide ou leur mettre des coups de pied : personne n'interviendra.
[Vernon Subutex, tome 1, Virginie Despentes]
Personne n'a senti ?
Personne.
Il me faut avouer que mon mari est un con. Un gentil con, bosseur, fidèle, mais un con accompli. Un modèle du genre. Imaginez une valise sans poignée, vous obtenez mon mari.
Au-dessus de la cour de promenade, le ciel délavé, avec de grandes bavures argentées, frissonne. Un vrai ciel de peintre. Comme seuls les peintres peuvent rendre à la mélancolie sa légitime beauté.
A six ans, j'étais une petite fille au babil enjoué qui racontait, commentait, posait des questions, beaucoup de questions. Je n'avais pas encore été frappée par la loi du silence qui régnait à table. (...)
Un soir, je devais avoir été plus bavarde encore que d'habitude, il [le grand-père] a claqué un grand coup de pogne sur la table, il a fixé ma mère avec ses yeux furibards et il a balancé comme ça : "T'étais obligée de la pondre, celle-là ? Les filles, à part causer, ça sert à rien ! Quand j'étais gosse, moi, une fille qui naissait à la ferme elle finissait aux cochons. Ni vue ni connue. Bon débarras !"
Et il a fait glisser son assiette en travers sur la toile cirée, en direction de ma mère, signe qu'il voulait du rab. Ma mère s'est levée et l'a servi. (...)
Papa lui a dit qu'il ne pouvait pas raconter des choses comme ça devant la gamine. "Ben si, j'peux, la preuve et ferme-la, chuis ton père nom de Dieu !"
- Alors, tu la balances ta surprise ?
- OK. Je vais te mettre dans la confidence, mais tu gardes ça pour toi, parce que les autres ne sont pas au courant, et que je ne suis pas supposée divulguer le pot aux roses.
- Le pot aux roses ? C'est quoi ce truc de ieuv encore ?
- Vanessa, Vanessa... Tu sais, de certains animaux, on dit qu'il ne leur manque que la parole. Toi, c'est le contraire. Quand tu ouvres la bouche, tu te gâches. Quel dommage !