Peabody
Je me rappelle qu’étant jeune, je croyais que la mort était un phénomène physique. Maintenant, je sais que c’est tout simplement une fonction de l’esprit, et encore de l’esprit de ceux qui subissent la perte. Les nihilistes disent que c’est la fin, les fondamentalistes disent que c’est le commencement. En réalité, ce n’est pas autre chose qu’un locataire, pour ainsi dire, ou une famille qui quitte son appartement ou sa ville.
(p. 49)
Darl
Il faut deux personnes pour faire un homme, mais il n’en faut qu’une pour mourir. C’est comme ça que le monde finira.
(p. 45)
Notre père le regarde ; l’eau ruisselle lentement sur sa figure. On dirait une parodie burlesque de tous les dénuements coulant sur un visage sculpté par un caricaturiste impitoyable.
(Darl)
Je me rappelais que mon père avait coutume de dire que le but de la vie c'est de se préparer à rester mort très longtemps.
Addie
Donc j’ai pris Anse. Et, quand je me suis aperçue que je portais Cash, j’ai compris que la vie était terrible et que c’en était la réponse. C’est alors que j’ai appris que les mots ne servent à rien, que les mots ne correspondent jamais à ce qu’ils s’efforcent d’exprimer. Quand il fut né, j’ai compris que le mot maternité avait été inventé par quelqu’un qui avait besoin d’un mot pour ça, parce que ceux qui ont des enfants ne se soucient pas qu’il y ait un mot ou non. J’ai compris que le mot peur avait été inventé par quelqu’un qui n’avait jamais eu peur, le mot orgueil par quelqu’un qui n’avait jamais eu d’orgueil. J’ai compris qu’en réalité ce n’était pas à cause de leurs nez sales, mais parce que nous nous servions les uns des autres au moyen de mots, comme des araignées qui, pendues par leurs bouches à une poutre, se balancent dans le vide, tournoient sans jamais rien toucher, et que seuls les coups de cravache pouvaient faire couler, comme un ruisseau unique, mon sang avec leur sang. J’ai compris qu’en réalité ma solitude n’avait pas à être violée chaque jour, mais qu’elle n’avait jamais été violée avant la naissance de Cash.
(p. 165)
On n'est pas au monde pour avoir une vie facile. Il n'y aurait pas de raison pour être bon et mourir.
On dirait que le son a été arraché à ses lèvres, dispersé dans l'air, au loin, qu'il nous parle par-derrière, séparé de nous par une distance énorme d'épuisement.
p.208
Lui aussi avait un mot. Il appelait ça l'amour. Mais il y avait longtemps que j'étais habituée aux mots. Je savais que ce mot était comme les autres, rien qu'une forme pour combler un vide; je savais que, le moment venu, on n'aurait pas plus besoin de ce mot que des mots orgueil et honte.
Dans une chambre étrangère, il faut faire le vide en-soi-même pour pouvoir dormir. Et, avant d'avoir fait le vide pour pouvoir dormir, qu'est-ce qu'on est? Et quand on a fait le vide pour pouvoir dormir, alors on est plus. Et quand on est tout plein de sommeil, c'est comme si on n'avait jamais été. Je ne sais pas ce que je suis. Je ne sais pas si je suis ou non. Jewel sait qui il est parce qu'il ne sait pas qu'il ne sait pas s'il est ou non. Il ne peut pas faire le vide en lui-même pour pouvoir dormir, parce qu'il n'est pas ce qu'il est et qu'il est ce qu'il n'est pas.