En classe, nous parlions de harangues, de discours, d'Athènes, de Rome. Nous comparions Démosthène, le dialecticien terrible, à Cicéron, le pathétique ; l'oraison funèbre des guerriers morts dans la guerre du Péloponèse, de Périclès, par Thucydide, à l'oraison funèbre du grand Condé, par Bossuet. On bataillait, on se disputait. (...) M. Perrot, assis au milieu de la salle, ses grosses lunettes sur le front et le nez en l'air, excitait les uns et les autres ; et quand par hasard l'un de nous trouvait un argument nouveau, une réplique décisive, il se levait comme transporté d'enthousiasme (...)
A la fin, quand la cloche sonnait la sortie, l'excellent homme fermait la discussion, et toute la classe tombait d'accord que ces anciens-là savaient écrire et parler. (...) et nous aurions été bien heureux de pouvoir assister à quelques unes de ces fameuses discussions, où tous les citoyens écoutaient d'un bout de la place à l'autre, et jusque sur les toits en terrasse, les terribles lutteurs aux prises pour ou contre la guerre à Philippe, les lois agraires, l'arrestation des Gracques et d'autres grandes mesures semblables.
En rentrant à la maison, je dis à Marie-Anne que M. Jean m'avait prié de l'accompagner le lendemain à Lutzelbourg. Nous soupâmes en silence. Les enfants allèrent se coucher; et songeant alors qu'il fallait partir de bonne heure, je tirai de l'armoire mes habits du dimanche, une chemise blanche, des bas de laine, mon feutre et mon manteau. Marie-Anne m'aidait, les enfants dormaient bien, leur couverture sur le nez. Enfin, tout étant prêt, rangé sur une chaise en bon ordre, nous nous mîmes au lit, causant quelques instants du froid qu'il ferait avant le jour et des précautions qu'il fallait prendre.
Quelle différence d'un professeur à un autre ! Et que de reconnaissance on devrait avoir pour l'homme instruit et sympathique qui vous a donné son âme entière, le fruit de son expérience et de son travail, pour développer en vous quelques germes heureux, espérant pour toute récompense obtenir un souvenir... et peut-être un regret après sa mort.
Les années de collège de Maître Nablot.
Erckmann et Chatrian :
Gens d'Alsace et de LorraineOlivier BARROT signale la publication aux Presses de la Cité (collection Omnibus) de "
Gens d'Alsace et de Lorraine" d'
ERCKMANN-CHATRIAN. Ce gros ouvrage rassemble six des Romans et Contes des deux célèbres Alsaciens.