Maude Elyther: un diamant brut.
Quelle claque !
Qu'est-ce que «
encres de nuits ? » Un roman ? Un journal ? Je ne parviens à le rapprocher que de la chanson de Geste. C'est un long poème, un conte épique, qui nous plonge dans les méandres bruts de l'inconscient. Pas d'analyse, pas d'artifice. Ce livre est une pulsion. C'est assez déroutant de le lire tout en ayant l'impression de me tenir en permanence au plus intime d'un sang qui bat, l'oreille collée sur le coeur de quelqu'un.
Maude écrit sans concession. Elle a une maîtrise de la langue qui, page après page, n'a eu de cesse que de m'enchanter, moi qui ne jure que par Hugo, Sand ou
Virginia Woolf. Suis-je là à vous dire qu'il n'y a pas de faiblesses dans l'écriture ? Il s'en trouve. Pas tant qu'on le supputerait pour un premier roman (si je ne m'abuse). le talent est là.
Maude Elyther m'a fait penser à ces enfants qui chantent, et s'efforcent de tenir la note d'une partition alors qu'ils n'ont pas encore toute leur capacité pulmonaire pour le faire. Or, notre autrice n'a plus dix ans. Elle porte en elle une grande profondeur d'âme, une capacité à l'explorer. Cela se sent, sinon elle n'aurait pu nous mener tambour battant à travers ces 197 pages. Il y a déjà de la puissance, une forme de réconciliation faite avec la douleur, la violence, puisque l'autrice les transcende par l'art.
Oui, il y a de la noirceur dans ce livre. On y côtoie le vampirisme, mais ce vampirisme du quotidien, d'autant plus effrayant qu'il ressemble à celui que nous connaissons quand les autres cherchent à nous réduire, nous humilier, nous posséder. On se sent comme perdu.es dans le port de Whitby, lorsque nous ne saisissions qu'à peine l'ombre du comte Dracula. Et cela était plus angoissant que le surgissement de sa barbarie.
Cependant, dès les premières lignes de «
Encres de nuit », j'ai senti de la lumière sans pouvoir la définir. Ce livre a aussi quelque chose de lumineux, de chaleureux, d'enveloppant. D'abord à cause de la sincérité de Maude. Elle est pleine d'audace, ose triturer sa composition, nous donne l'idée d'un texte désordonné, mais
elle sait où elle va. Ensuite, il y a cette manière acérée de dire le manque d'amour, le tourment, le cauchemar, le doute. La vie. Son écriture est pulsionnelle. Maude n'a pas cherché à nous séduire en calculant des coups de théâtres, ou de ces narrations éculées qu'on nous sert juste parce qu'
elles font vendre. La probité de l'autrice est au rendez-vous.
Que nous soyons emmené.es dans le rêve ou la réalité, nous ne sortons jamais vraiment d'une forme de dialogue intérieur qui nous ferait nous demander pour nous-mêmes : qui parle en moi ?
«
Encres de nuit » mérite notre considération.
Dans quel rayon de ma bibliothèque le mettrai-je, à présent ? Fantastique ? Roman gothique ? le rangerai-je à côté de
Sylvie Germain ? Je pense qu'il sera très bien au milieu de ma collection des oeuvres de
C.G. Jung, tout près de
Psychologie du transfert. J'en ai eu l'idée alors que je n'avais pas encore découvert le personnage de Stéphane ou Milo. Car il est question de l'omniprésence d'un animus déchaîné, du processus d'individuation, de la rencontre du double intérieur.
Il me tarde de découvrir la prochaine oeuvre de Maude. Ce premier opus est déjà intense. Et si elle n'a pas déjà brûlé ses vaisseaux, elle a tout pour nous surprendre.
Avec toute ma gratitude.