Voici la troisième édition commentée du livre biblique de Job dont je souhaitais parler, après celle d'Isabelle Cohen, parue en français cette année, et celle du rav Shimon Schwab, publiée par la maison d'édition américaine Artscroll, en hébreu et en anglais. Ce livre-ci, publié aussi par Artscroll, dépasse tout ce que l'on peut trouver aussi bien dans l'ouvrage d'Isabelle Cohen, qui a ses points faibles, que dans celui du rav Schwab, qui explique le texte d'une manière plus pédagogique, plus simple, mais non moins profonde. Ici, le commentaire du texte est si fouillé que le lecteur risque de s'y perdre totalement : la richesse des références, la puissance de la réflexion nourrie aux sources de la pensée d'Israël, et le développement de tous les points difficiles du texte, font de ce livre une véritable anthologie de la tradition rabbinique sur Job, la question du Mal et celle de la souffrance des justes. Il y a souvent deux pages de commentaire serré et de notes pour cinq lignes d'hébreu : cet ouvrage est donc destiné à l'étude plus qu'à la lecture, et il est bien dommage qu'il n'ait pas été traduit en français, comme d'autres de cette excellente collection Artscroll (Psaumes, Rouleaux d'Esther, de Ruth etc..) Dans l'idéal, si l'on a du temps, on lira les trois livres alternativement : Isabelle Cohen pour la traduction française du texte et un certain mode de lecture moderne ; rav Schwab pour l'approche rabbinique traditionnelle dans ses grandes lignes, à des fins d'initiation ; et enfin ce commentaire de rabbi Moshe Eisemann pour aller au fond des choses.
Pourquoi, dira-t-on, s'encombrer de tous ces commentaires ? Ne peut-on protester, comme à la Renaissance, contre la prolifération de paroles qui risque d'étouffer le texte de la Bible ? On le pourrait. Mais avec le livre de Job plus encore qu'avec les autres, le risque de ne rien comprendre du tout, et de s'imaginer comprendre, est grand. Or rien n'a plus d'importance, parmi les questions que l'homme se pose, que celle de la justice de Dieu en ce monde, de la souffrance des innocents et des succès de leurs bourreaux. Si la réponse chrétienne ne satisfait pas l'esprit, voici, avec ces livres, celle que propose un peuple qui s'y connaît en exils, persécutions et catastrophes.
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Maintenant nous comprenons le sens de la parole de Rav, "Qu'un homme ait les mêmes amis que Job, ou qu'il choisisse la mort" (Bava Bathra 16b). Dans le texte, tel qu'il est, ces amis nous sont apparus sous un triste jour - insensibles, pris dans leurs préjugés et leur simplisme unilatéral, sans amour, et peu disposés à défendre celui qui est sans défense. Ils se durcirent contre une pitié excessive pour montrer à Job la grandeur à laquelle il était appelé. Ils lui parlaient de profondeurs qu'il ne pouvait percevoir, de hauteurs qu'il ne pouvait atteindre. Et nous non plus, prisonniers du mode d'écriture du livre, et incapables de voir au-delà des limites qui bornaient le monde de Job.
Mais maintenant nous en savons plus. Il existe une vérité plus authentique. C'est Job qui échoua, non ses amis.
(extrait de la préface)