Le rire des déesses est mon premier roman de l'écrivaine mauricienne
Ananda Devi. Anthropologue sociale de formation, ses différents ouvrages offrent aux lecteurs une vison de l'île Maurice moins idyllique que la vision officielle transmise aux touristes.
Le rire des déesses est un ouvrage clairement féministe : dur, percutant et dérangeant. L'autrice s'intéresse au travers de ce roman aux personnes oubliées de la société indienne : les femmes prostituées et les hijras, qui désignent les personnes transgenres.
Au coeur de la Ruelle, quartier très pauvre ou vivent les prostituées, Chinti est une enfant pleine de vie. Il faut dire qu'elle a été élevée à la dure par sa mère qui ne s'intéresse pas à elle, Cette mère, Veena, ne parvient pas à créer un lien avec elle, à l'aimer, elle ne se l'autorise pas de peur de fendiller sa carapace faîte de colère et de rage. A la Ruelle, la résignation, la tristesse et la colère règnent. L'enfant est le seul rayon de soleil qui subsiste dans ce monde où tout est noirceur. Chinti grandit, cherche de l'affection ailleurs, auprès des autres femmes de la Ruelle et des Hijras, elle s'épanouit et attire malheureusement le regard de Shivnath, homme tout puissant, vénéré tel un Dieu. Cet homme est prêt à tout pour obtenir Chinti, et assouvir ses désirs pervers. Il la kidnappe et l'entraîne à Bénarès pour en faire une déesse, la sienne. Et là Veena se met à redevenir mère, ne voulant pas que sa fille tombe dans les mains. Elle se découvre un amour caché pour sa fille, pour ce qu'elle représente : l'espoir que sa fille pourra sortir de ce quartier, échapper au destin terrible qui les attend toutes. Pour cela, elle s'appuie sur la cohorte des habitantes de la Ruelle, une armée d'ombres transparentes qui iront jusqu'au bout de son chemin, pour préserver Chinti.
Vous l'aurez compris
le rire des déesses est un roman fort. Il bouscule, tant par la description de la vie de ces femmes, que par la révélation des pensées les plus intimes, les plus viles de certains personnages. On est emporté dans le tourbillon de rage et de colère que représente Veena, cette mère qui réalise au moment où sa fille est l'objet des délires d'un homme.
On est bouleversé par Chinti, petite lumière, boule d'énergie qui tente d'alléger le quotidien de son entourage, qui prend de la distance avec sa mère par peur du rejet et tristesse, et qui de par l'innocence de son âge, reconnaît en Shivnath, un sauveur, un ange gardien qui peut la sortir de son environnement crasseux. On est en admiration devant le personnage de Sadhana, hijra, belle, forte, lumineuse, qui va devenir la véritable ange gardien de Chinti.
Et on est dégoûté par les pensées obscènes et tordues de Shivnath, personnage mégalomane, qui se considère comme un surhomme, comme un homme de Dieu, qu'aucune loi, aucun être humain ne peut stopper.
Ananda Devi décrit très bien la situation des femmes dans ce pays, avec une écriture imagée, on sent les odeurs, l'encens, les fruits autant que les ordures, on perçoit la ferveur lors du pèlerinage vers Bénarès , ville la plus sacrée de l'Inde, Joyau de l'Hindouisme où l'on brûle les corps de défunts et on se purifie dans le Gange.
Je ne peux que vous conseiller la lecture de ce roman. Il aborde différents sujets tels que la sororité entre femmes, la religion, la folie de la foi, la pédophilie, la place de la femme et des hijras dans la société indienne, et surtout la difficulté d'aimer son enfant, le développement d'un lien mère-fille qui ne se fait pas naturellement.
Un roman sous forme d'étude anthropologique en quelque sorte.
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