« Elle n'était pas du tout son genre ; il n'avait jamais été le sien. Ils n'avaient rien pour se plaire ; ils se plurent pourtant, s'aimèrent, souffrirent de s'être aimés, se désaimèrent, souffrirent de s'être désaimés, se retrouvèrent et se quittèrent pour de bon – mais n'allons pas trop vite en besogne. »
Ceci, dans les premières pages de «
Mon maitre et mon vainqueur », titre extrait d'un poème de
Verlaine, est énoncé par le narrateur, témoin d'une histoire d'amour entre Tina, actrice /lectrice éperdue des poèmes de
Verlaine et Rimbaud, et son meilleur ami, Vasco, école des Chartres travaillant à la BNF.
Cette histoire, ainsi que les poèmes écrit à sa belle par Vasco, sont étudiés en détail parle le juge, dont le rêve raté est d'être un poète et consignés par le greffier.
Un juge ? je ne veux pas vous expliquer, ce serait trop en dire.
Cette histoire, somme toute banale, ne l'est pas grâce à l'écriture de F H Désérable, maniant l'humour la culture et l'érotisme, et puis les commentaires sur Tina, excessive, impétueuse… et mère de deux jumeaux, prête à se marier avec leur père. Lorsqu'on lui demande comment elle peut réciter les poèmes saturniens « par coeur, elle disait simplement, en se touchant la poitrine : mais je n'y suis pour rien, c'est là qu'ils vont. »
Avec des phrases longues, très longues et admirables, l'auteur analyse l'inquiétude irrationnelle, l'insondable gouffre de solitude de Tina, pour qui la vie parait floue, sans futur enviable, instable, indécise, «et qu'en vérité ce qu'il lui fallait c'était un type comme Edgar, qui l'apaisait, la rassurait, lui offrait de la permanence, un horizon sans quoi la vie n'était qu'un présent perpétuel »
Edgar le futur mari, à qui elle ment, honteuse, déloyale, d'autant plus infidèle qu'il accepte les soirées dehors, ne se doute de rien. Et possédée pourtant par son amour pour Vasco sans espoir ni possibilité d'y mettre fin.
L'histoire importe finalement peu, quant on se délecte à chaque page de l'ironie et des poèmes en prose de « ces deux coeurs qui à ce stade du récit commençaient à tambouriner un peu trop fort, un peu trop vite, un peu trop à l'étroit dans des poitrines tout à coup un peu trop étriquées. On a beau en faire tout un cas, on a beau l'enrober de périphrases et l'embellir de métaphores, qu'est-ce que c'est que l'amour, in fine ? Des valves qui s'ouvrent et se ferment, comme des clapets »
Lorsque je relis ce livre, je le vois souligné page après page, avec des coeurs et des papillons dans la marge, manière pour moi de souligner quand j'aime. Et, oui, F H Désérable a écrit un magnifique livre, mon seul regret est de ne pouvoir recopier tout.
Tout de même, en pensant à nos dernières conversations sur babelio : Tina explique le rangement de sa bibliothèque , dont les médiocres « « polars chargés de poncifs, feel-good books qui lui donnaient surtout l'envie d'aller se jeter dans la Seine, de petites choses insignifiantes et sans enjeux, des merdes, résumait Tina, et parmi toutes ces merdes qui n'avaient leur place qu'en bas à droite, dans les abîmes de sa bibliothèque, j'étais tombé sur mon premier roman, dédicacé « avec mon amitié la plus vive ». Je n'avais pas pu m'empêcher d'en faire la remarque à Tina, mais Tina ne s'était pas démontée : c'était, m'avait-elle expliqué, l'étagère réservée aux livres écrits par ses amis – « ah, j'avais dit, tu me rassures », feignant de croire qu'elle fût l'amie d'
Ernest Hemingway, dont un petit roman pesamment académique coudoyait le mien. Comme
Hemingway l'aurait fait, j'avais bu mon whisky d'un seul trait. »
Les « feel-good books qui lui donnaient surtout l'envie d'aller se jeter dans la Seine !!! »