Faut-il s'étonner de ce que ce recueil de 20 « nouvelles érotiques sur une thématique sexuelle » (déjà ce libellé me laisse perplexe : existe-t-il beaucoup de textes érotiques dont le thème ne soit pas le sexe ? si quelqu'un pouvait allumer ma lanterne en y frottant son briquet…) soit à la Littérature ce que le fast-food est à la Cuisine Gastronomique ? Je suppose que, non, ce n'est pas surprenant. Surtout quand on lit que « « Osez 20
histoires de sexe » se veut une collection ouverte à toutes et tous », et qu'apparemment tout scribe en herbe caressant des désirs inavoués d'écriture classée X peut glisser sa prose dans la mailbox de l'éditrice dans l'espoir de goûter à la jouissance de la publication.
Fast-food, disais-je. Nourriture rapide, facile, bon marché, sans surprise, industrielle, à la chaîne, excessive (en calories, graisses, sucres, agents conservateurs et autres produits chimiques), sur laquelle on se jette cependant avec ardeur en cas de grosse fringale et qui, à peine consommée, nous fait vaguement culpabiliser (pour les raisons susmentionnées) d'avoir succombé à un plaisir trop facile que pour être mémorable.
Ce recueil est un peu dans le même registre : nouvelles courtes (visiblement pas comme les 20 et quelques membres virils affûtés croisés au fil de la lecture), rapides à avaler (comme la plupart des parties de jambes en l'air du recueil), sans surprises et répétitives (à la chaîne…mais pas enchaînées, ce n'est pas du SM…) : partenaires connus ou inconnus chauds comme la braise en 15 secondes, déshabillage (ou pas), utilisations diverses des mains, des doigts, de la bouche, de la langue, enchevêtrement de jambes dans un éventail d'angles, frénésie de corps et de cris, spasmes, déferlantes de plaisir comme-on-n'en-avait-jamais-connu-d'aussi-fort, échanges de fluides divers, repos, rhabillage (ou pas). A répéter éventuellement plusieurs fois, voire simultanément, en fonction du nombre de participants aux réjouissances. Excessif et bon marché parce que mal écrit, trop vulgaire, inélégant, d'une pauvreté de vocabulaire affolante, et sans inspiration (hormis pour les scenarii, tous plus invraisemblables les uns que les autres).
On est donc bien loin de la cuisine étoilée, certes pas à la portée de toutes les bourses…, qui vous promet un menu 5 ou 7 services, avec mises en bouche et amuse-gueule, trou normand et festival de gâteries sucrées en dessert, chaque fois accompagnés de leur divin nectar. Cuisine qui vous fait saliver dès l'instant où vous avez frôlé la carte des yeux, qui vous fait frémir d'envie dès le premier contact de vos mains sur les lourdes nappes et serviettes empesées du linge de table, qui dilate vos pupilles à la vue des reflets scintillants sur les courbes des verres et de la porcelaine, ou sur le métal froid et dur des couverts. Il y a l'impatience de prendre au creux de vos mains ces globes de cristal, de serrer vos doigts tièdes autour du manche du couteau, pour les mettre à température ambiante… Mais vous savez que la cuisine gastronomique est une jouissance qui se mérite, qui vous entraîne au bout de la nuit, l'extase ne s'atteignant qu'après plusieurs heures à regarder, toucher, goûter. Des heures faites de montées de plaisir et de vagues refluant juste avant le climax. Doux supplice qui vous met toutes les terminaisons nerveuses à vif, qui vous donne envie de vous laisser aller – oh oui, là, tout de suite – à saucer votre plat, mais vous savez que vous devez retenir vos mains et votre bouche, en laisser un peu sur l'assiette, abandonner un peu de ces queues d'écrevisses, écarter ces fines cuisses de grenouille, parce que le menu annonce ensuite du râble de taureau et de la cuisse de poularde farcie à l'étuvée, et que vous attendez aussi la chaleur tropicale de la banane flambée à la liqueur de passion, ou la poire Belle-Hélène pointant sous une fine couche de chocolat brûlant… Vous savez que vous devez garder quelques forces, pour que le plaisir ne vous submerge totalement qu'après l'excitation du café et de ses mignardises aux couleurs et formes suggestives de fraise, d'abricot et de cerise, juste avant de succomber sous les coups du pousse-café, dont l'ivresse vous pénétrera jusqu'à la moelle.
Mais mon esprit et mes sens s'égarent…
Revenons-en à nos « 20 histoires… ». C'était ma première expérience de « littérature » explicitement classée « érotique », et c'est loin d'être un bon coup. Oui, ça échauffe, ça fait s'émouvoir les sens 5 minutes, le temps d'un plaisir minuscule. Oui, le vocabulaire cru et vulgaire est parfois excitant, mais au bout d'un (court) moment, je m'y ennuie. Où sont la suggestion, l'imagination, l'élégance, la subtilité, qui me feraient bien davantage sombrer dans la volupté ?
En fait, puisqu'à un moment il faut bien conclure, si ce recueil m'a donné une furieuse envie, c'est bien celle de tremper moi-même ma plume dans l'encrier pour écrire les textes érotiques que j'aurais envie de lire…
Merci à Masse Critique de Babelio et aux éditions de la Musardine pour cette découverte.