Monument de la littérature.
Monument stylistique, «
Belle du Seigneur » découpe au scalpel le monde des arrivistes, de la diplomatie, d'une « société » où le paraître importe plus que l'être.
Tout est détaillé et confère ainsi une réalité presque naturaliste à tous les personnages, à toutes les situations, aux lieux, aux objets, aux attitudes, à TOUT ce qui constitue l'être humain dans sa beauté et dans sa laideur.
L'être humain et sa fascination pour la « force » est montrée et démontrée.
La description d'une réunion entre « importants,supérieurs et sursupérieurs » est un régal d'observations lucides et d'une cruauté qui ne pardonne pas.
Le passage avec la description des « babouinesques » approfondit le regard porté sur un monde avec ses codes, ses faussetés, ses masques et ses jeux.
Bien sûr toute la diatribe de
Solal sur l'amour et les femmes peut choquer mais replaçons-nous dans les années trente et surtout faisons appel à des souvenirs de vu et entendu… peut-être y trouverons-nous encore des ressemblances.
Effrayants sont les conseils de séduction… Don Juan existe toujours…
Des prémices de l'amour magistralement décrits jusque dans l'attente et la servilité d'Ariane, jusqu'au pessimisme réaliste de
Solal, le tout décrit dans ce qui ressemble à un pamphlet baroque voire kitch aboutit à la descente en enfer progressive.
Amour-passion qui se teinte d'ennui jusqu'à la destruction.
« L'amour, ce n'est pas un sentiment honorable » disait Sido la mère de l'écrivain Colette…
La religion se profile, un appel à Dieu sans y croire.
Des dévôts souvent douteux en début de livre montrent les deux faces d'un même visage.
Chrétienté et judaïsme se déclinent liés et opposés.
L'antisémitisme est présent sans être le sujet dominant du livre. On sent l'époque des années trente, la déambulation dans Paris est explicite.
Le poids des regards et des paroles condamnant ceux qui se sentent « coupables sans faute » pèse sur
Solal, l'auto-destructeur.
Les évocations de la parentèle juive vont jusqu'à une caricature dérangeante.
Les ruptures de style peuvent troubler.
Les monologues intérieurs situent chaque interlocuteur en sa secrète intimité, vont plus loin que les jeux de rôle que chacun tient en société ou en fonction d'un autre.
Jeux stylistiques où le langage devient folie douce et suit les pérégrinations des esprits tourmentés par la réussite sociale ou par l'amour qui dévore.
Les niveaux de langue situent les uns et les autres dans leur milieu social.
Des mondes s'opposent, parfois se méprisent ou se toisent et donnent lieu à des passages ou de petites phrases assassines.
Albert Cohen, paraît-il, dictait son livre et c'est peut-être cela qui donne ces tons particuliers d'une oralité dans l'écrit.
Des passages en absurdie où l'humour recouvre une réalité sont de l'ordre d'un rire pas toujours innocent.
Une histoire d'amour qui montre et démontre le néant d'une passion étouffante aboutissant au rien qui détruit ceux qui espèrent l'éternité.
La mort est d'ailleurs souvent évoquée dans les visions de
Solal et leur passion aussi n'y échappera pas…
Ni l'un ni l'autre ne feront face ou ne voudront faire face à la réalité, la leur.