Chez Cotzee, inutile de s'attendre à la chaleur humaine, le rayon de soleil qui réchauffe est absent. Dans ces sept histoires qui suivent, écrites entre 2003 et 2017, il y va de même. Les rapports entre les hommes, entre les hommes et les animaux sont sombres, glacés, voir sinistres.
Dés le premier épisode "Le Chien", nous sommes en milieu hostile. Il est question de la peur, où en se référant à Saint-Augustin qui "dit que la meilleure preuve que nous sommes des créatures déchues tient au fait que nous ne pouvons pas contrôler les mouvements de notre propre corps.", Coetzee semble nous dire, autant accepter le hasard et nos conditions d'être humain, il n'y a pas à proprement parler de choix.
S'en suit une histoire d'adultère amoral, intitulé simplement "Histoire ".
"Une femme mariée peut-elle cesser, suite à une décision mûrie, d'être mariée pendant un laps de temps, d'être elle-même, puis de redevenir ensuite une femme mariée ? Qu'est-ce que cela signifie, être une femme mariée ?", référence à Robert Musil , et sans doute à son livre "L'homme sans qualités ", que l'amant donne à lire à
la femme adultère. Recherche d'une réponse qui n'existe pas, si ça nous convient autant le vivre, sans remords, sans scrupules ?
À partir de la troisième histoire entre en scène Elisabeth Costello, un personnage déjà présent dans les précédents livres de Coetzee. Une écrivaine vieillissante, l'alter ego décalé de Coetzee. Elle a 65 ans et cherche à retrouver une dernière fois, une seconde jeunesse. Sa bru impitoyable, se référant à une nouvelle de Tchekov, annonce le verdict, "elle risque d'être déçue ", terrible.
La suite c'est toujours elle, Une femme résignée à la vieillesse et qui l'accepte sans trop de mélo, sans doute la vision lucide que l'auteur a de lui-même. Et cette terrible pensée pour son fils qui lui propose de venir vivre avec eux....
« Un garçon sombre, fils de parents sombres. Comment pourrait-elle rêver de trouver refuge chez lui, avec sa femme désapprobatrice aux lèvres serrées !
Au moins, songe-t-elle, ils ne me traitent pas en idiote. Mes enfants me font au moins cet honneur. ».
Coetzee continue à enfoncer la vérité concernant la vieillesse et à travers Castello revient sur un thème cher à lui, l'antispécisme, avec un vibrant plaidoyer en faveur d'une redéfinition de notre rapport au monde animal. « L'abattoir de verre » qui donne le titre à la traduction française en est la plus marquante, avec une critique virulente de la pensée de Heidegger sur les animaux. Selon lui, leur appréhension du monde est limitée ou dépouillée. "Les sens des tiques sont en alerte, mais seulement face à certains stimuli, par exemple l'odeur qui flotte dans l'air ou la vibration dans le sol qui trahit l'approche d'une créature à sang chaud". Costello retourne l'argument au philosophe, déclinant que ce que recherchait Heidegger à travers ses maîtresse est identique aux pulsions des tiques, "ce moment où la conscience se concentre en une palpitation , une intensité univoque avant qu'elle ne s'éteigne ?".
Ici l'important c'est l'état d'esprit de Costello ( Coetzee), pour qui ces questions d'ordre moral, importent très profondément, et pensant qu'elle fait partie d'une minorité, elle craint qu'avec sa mort elles disparaissent. Je pense donc que le titre de la v.o. « Moral tales » , serait ici plus explicite vu le fond de ces récits.
Derrière ces histoires minimalistes qui traitent des faits apparemment ordinaires, se profilent nos multiples identités complexes, "Combien suis-je ?". Coetzee touche des points sensibles de l'existence, avec son pessimisme de toujours, pourtant il dit, à un moment, à travers Costello, "La vie comme un ensemble de problèmes à résoudre, la vie comme un ensemble de choix à faire : quelle façon bizarre de voir les choses !”.
Une prose fluide, claire qui se lit avec plaisir. Coetzee est aussi un de ces auteurs qui me défient intellectuellement, et malgré le côté sombre de ses livres, que j'apprécie énormément. Un grand auteur, dont je voudrais rappeler qu'il reçut le Prix Nobel de Littérature en 2003.
"Où en serait l'art de la fiction s'il n'y avait aucun double sens ? Que serait la vie même s'il n'y avait que des têtes et des queues, sans rien au milieu ?"
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Roman ? Recueil de nouvelles ?
On suit une femme, Elizabeth, écrivaine australienne. Sa fille Helen et son fils John. Cette femme est le lien des 7 récits. Sa jeunesse, sa vieillesse. Ses questionnements.
Des petites touches décrivent la vie de cette femme. J'ai aimé le récit sur son aventure avec un amant (heureuse dans son mariage elle a néanmoins un amant pour se sentir admirée). Les dernières histoires concernent le temps de la vieillesse. La peur de ses enfants face à l'âge venant. C'est très philosophique. Pas toujours évident. du coup je me suis éloignée de l'héroïne.
Le livre commence avec un chien et finit avec les animaux, leur âme, leur ressenti....
Un texte pas toujours accessible, une héroïne qui m'a paru lointaine. Je reste dubitative.....
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Le prix Nobel 2003 publie "l'Abattoir de verre". Où l'on retrouve à la fois son héroïne fétiche, Elizabeth Costello, et son style parfait.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Elizabeth Costello, double littéraire du Prix Nobel sud-africain J.M. Coetzee, est l’héroïne de L’Abattoir de verre, saisissant portrait fragmenté d’une écrivaine au seuil de sa vie, qui médite sur l’ambivalence des humains et l’empreinte de toute œuvre.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Avec « L’Abattoir de verre », le Prix Nobel sud-africain propose sept nouvelles autour de l’existence humaine et animale. Un instant de grâce, écrit Camille Laurens.
Lire la critique sur le site : LeMonde
« La vérité vraie, c’est que tu es en train de mourir. La vérité vraie, c’est que tu es déjà sans défense, que demain tu seras encore plus démunie, et ainsi de suite, jusqu’au jour où il n’y aura plus d’aide du tout. La vérité vraie, c’est que tu n’es plus en mesure de négocier. (…) Tu ne peux pas dire Non au tic-tac de la pendule. Tu ne peux pas dire Non à la mort. »
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La caméra, la nuit dernière, suivait sur le tapis roulant un petit poussin en particulier. ’Alors voilà à quoi ressemble la vie ! ‘’Se disait-il.’’ Troublant mais pas trop exigeant jusqu’à présent.’’ Deux mains le soulevaient, écartaient le duvet entre ses cuisses, le replaçaient sur le tapis roulant. ‘’Que de tests ! se disait-il ; j’ai l’impression que j’ai réussi celui-là’. Le tapis continuait de rouler. Courageusement, il se laissait porter, affrontant l’avenir et tout ce que signifie l’avenir.
Je ne peux me défaire de cette image, John. Ces milliards de poussins nés dans ce monde magnifique, à qui nous accordons la grâce d’un jour de vie avant de les réduire en pâte parce qu’ils sont du mauvais sexe. Parce qu’ils ne cadrent pas avec le business plan.
Pour l’essentiel, je ne sais plus à quoi je crois. Mes croyances semblent avoir été recouvertes par le brouillard et la confusion……………………..
C’est pour eux que j’écris. Leur vie fut tellement brève, si facile à oublier. Je suis l’unique être de l’univers qui se souvienne encore d’eux, si nous mettons Dieu à part.
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« (…) Après mon départ, il n’y aura que du vide. Comme s’ils n’avaient jamais existé. C’est pourquoi j’ai écrit sur eux, et pourquoi je voulais que tu lises les papiers. Pour que je te transmette, à toi, leur souvenir. C’est tout ».
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Quand ce sera terminé, dans trois mois, trois ans, n'importe quand, elle redeviendra une femme mariée, mariée vingt-quatre heures sur vingt-quatre, avec, ancré en elle, le souvenir de savoir ce que cela fait d'être allongée sur un lit un jour d'été, dévorée par le regard d'un homme qui, même s'il ne peut pas vous peindre, portera pour le reste de sa vie, gravée dans son cœur, l'image de la beauté nue.
L’Amérique n’est pas le Grand Satan. Ces types à la Maison-Blanche ne sont qu’une virgule dans l’Histoire. Ils partiront en temps voulu, et tout redeviendra comme avant.
Tout comme le printemps est la saison qui regarde l'avenir, l'automne est la saison qui regarde vers l'arrière. Les désirs conçus par un cerveau automnal sont des désirs d'automne, nostalgiques, entassés dans la mémoire. Ils n'ont plus la chaleur de l'été ; même lorsqu'ils sont intenses, leur intensité est complexe, plurivalente, tournée vers le passé plus que vers l'avenir.
Chaque fois que je passe devant votre maison,votre chien se met en fureur, dit- elle. Je nedoute pas qu’il me déteste par devoir, mais je suis
choquée par cette haine envers moi, choquée etterrifi ée. Chaque passage devant votre maison estune épreuve humiliante. C’est humiliant d’être
terrifi ée de la sorte. D’être incapable d’y résister. D’être incapable de mettre fi n à la peur.
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Quel écrivain sud-africain a reçu le prix Nobel de littérature en 2003 mais fait partie du club très fermé de ceux qui ne donnent jamais d'interview ? Dommage car c'est un génie !
« Disgrâce » de J. M. Coetzee, c'est à lire en poche chez Points.