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sur 376 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Le sujet est grave et pourtant quelle douceur dans le partage de ce voyage nocturne aux côtés de Gouri et de ses compagnons d'infortune, quel enchantement que cette errance nocturne dans les terres inhospitalières et empoisonnées d'Ukraine après la tragique catastrophe de Tchernobyl !

Deux ans après l'embrasement de la centrale, Gouri décide de revenir sur les lieux qu'il a été contraint d'évacuer, quand le bonheur familial simple et heureux qui constituait son existence a basculé dans l'horreur et l'incompréhension une nuit d'avril 1986 avec l'incendie du réacteur.
Si Gouri a été jusqu'alors épargné, il n'en a pas été de même pour sa fille Ksenia, gravement contaminée par les retombées radioactives comme beaucoup d'êtres peuplant ces terres devenues le théâtre de la ruine, de la décrépitude et de l'abandon. C'est pour elle, pour récupérer un objet de leur ancien appartement chargé de souvenirs, que Gouri a entrepris le voyage de retour à Pripiat, en « zone interdite ».

Parti de Kiev où il est écrivain public, une remorque attachée à sa moto, Gouri traverse un paysage de plus en plus dépeuplé, de plus en plus désertique et dévasté.
Pourtant, dans les vestiges des villes fantômes, dans les émanations inodores de la pollution nucléaire, la vie rayonne encore ça et là, malgré le sentiment d'abandon et la résignation, malgré l'irradiation et la confrontation à la maladie, malgré le milieu corrompu et infecté dans lequel les êtres tentent tant bien que mal de subsister, dans une sorte d'hébétude, comme rivés à l'attente d'un temps qui ne reviendra plus.

Cette petite vie persistante qui s'accroche comme une fleur d'espoir, passe par une soirée chaleureuse arrosée de vodka avec les amis d'antan dans un village à demi-déserté où Gouri a fait halte avant de reprendre la route.
En compagnie de camarades demeurés dans cette campagne parasitée par un mal invisible, l'on se souvient, l'on parle à mi-mots de la catastrophe, des jours qui ont suivis, des villes évacuées et enterrées par les bulldozers, des liquidateurs, ces héros malgré eux qui ont tenté de stopper l'incendie sans aucune protection, de ce mélange de stupeur, d'angoisse, de fascination trouble et de beauté délétère qu'offrait alors la vision foudroyante de cette petite apocalypse.

Iakov que la radioactivité ronge chaque jour davantage, Vera, Kouzma, quelques autres encore, jalonnent la route de Gouri jusqu'à Pripiat. Un voyage qui sous le ciel pigmenté d'étoiles, éveille un sentiment de vide écrasant comme un tableau de fin du monde mais offre aussi la perspective d'une humanité conviviale et chaleureuse désireuse de faire renaître la vie dans cette partie du monde que l'homme a profanée.

26 ans après la tragédie, Antoine Choplin nous fait le don d'un texte scintillant d'humanisme, d'empathie, de sensibilité, si bien qu'à la tristesse ressentie, viennent se greffer des touches d'espoir rendant lumineux ces lieux redevenus sauvages, où la nature a repris ses droits comme si rien ne s'était passé. Et pourtant…s'il faut, pour se convaincre encore des nécessités de l'exil, « flairer la réalité de ces puissances cruelles, imperceptibles et assassines, préservant si étrangement l'apparence du monde », l'état de Iakov dont la chair en lambeaux se détache du corps, la maladie de Ksenia, les maisons englouties sous les mâchoires des bulldozers, les villes si effroyablement vide de présence humaine, ne peuvent démentir l'ampleur du drame qui s'est joué là et dont on a trop longtemps occulté les terribles répercutions.
Mais Antoine Choplin, par la simplicité d'un ton modéré et bienveillant, tout en retenu et mesure, réussit admirablement à irradier les coeurs et les esprits de chaleur humaine, à éclairer le texte de miséricorde et d'humanité, à apposer sur les brûlures radioactives le baume bienfaisant de la solidarité et d'un devoir de mémoire qui s'illustre sans rancoeur ni aigreur.
Après le gros succès public du Héron de Guernica, La nuit tombée fait palpiter notre dosimètre cardiaque dans les irisations d'une grâce pleine de naturel, de modestie et de lumière.
Simple et beau.
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Un tout petit roman d'une incroyable douceur pour une virée à la nuit tombée dans la ville fantôme qu'est Tchernobyl.

Les souvenirs sont encore bien vivants pour Gouri. Il les partage avec ses amis victimes de la catastrophe nucléaire de 1986. Il décide de rejoindre la ville fantôme sur sa moto, accompagné de son ami. La nuit tombée, comme deux fantômes ayant peur du jour et de ce qu'ils pourraient découvrir.
Si tout est silence et vide dans la ville, Gouri tient à retrouver un semblant de vie et d'humanité. Peu de choses suffisent pour réanimer une ville échouée, le vol d'un oiseau, le vole d'un piano, le démontage d'une porte marquée de la taille de sa fille au fil des années.
Les descriptions sont belles, justes, comme un dernier hommage à Tchernobyl, comme une dernière virée de deux hommes vivants là où la vie a déserté faute au nucléaire, faute à un accident tournant à la catastrophe et dépleupant les rues.

Intime, essentiel, c'est à la tombée de la nuit que la lune projette toute son immensité.
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« Ce n'était pas la guerre, ni un tremblement de terre. Nul effondrement, nul cratère d'obus. N'empêche, il fallait partir. »


En seulement 123 pages, Antoine CHOPLIN nous fait toucher du doigt les émotions et sentiments des rescapés de la catastrophe de Tchernobyl en 1986. Rescapés, mais pour combien de temps ? Car même si la population a été rapidement, et de force, évacuée dans les larmes mais en relative sécurité, des symptômes se déclarent chez certains à retardement. Alors la nuit, qui est déjà tombée sur leur monde le 26 avril 1986, retombe sur leur âme et celle de leurs proches. Et que faire dans ces cas-là sinon se raccrocher aux souvenirs ? Enfin, ceux qui n'ont pas été ensevelis par les autorités, pour éviter toute contamination, ni volés par les brigands opportunistes lorsque la zone, désormais interdite, a été obligatoirement désertée…


« Ce dont je me souviens le mieux, c'est des choses qu'on voyait parfois tomber dans le trou au milieu d'une pelleté de gravats. Des choses qu'on n'avait pas eu le temps ou même l'idée d'emporter et qui nous passaient sous le nez. Sauf qu'à chacune d'elles s'accrochaient des petits morceaux de vie et que c'était ça qui défilait devant nous. »


Pour apaiser les âmes, c'est autour de tournées de vodka entre initiés que les souvenirs reviennent. Mais pour Gouri, cette fois, ça ne suffit pas. Il doit retourner clandestinement en zone contaminée et interdite pour récupérer quelque chose de vraiment important, que les pilleurs n'ont pas dû prendre. Lui qui a été chargé dans le passé, avec ses amis, de détruire certaines espèces animales pouvant être vecteur de contamination, espère désormais que sa maison et ses affaires n'ont pas, à leur tour, été démolis et enterrés. Au péril de sa vie, avec le soutien de quelques amis pas tous indemnes, il doit en avoir le coeur net. Il accroche une remorque à sa moto et, après un émouvant tour de table nous offrant les contours du contexte et un panel de conséquences de la catastrophe, c'est à la tombée de la nuit que nous suivons Gouri jusqu'à ce lieu interdit : Pripiat.


« Ils n'auraient jamais dû le faire, Gouri l'avait compris peu après. Ils l'avaient fait pourtant, avec enthousiasme et même, une joie vague. Ils étaient venus ensemble, c'était tout près d'ici, Ksenia et lui, au matin du 26 avril. Voir un peu. le bleu étrange de l'incendie. Les irritations. Cette féérie. »


Un livre extrêmement court mais lourd de sens, jusque dans les pauses et les silences. Surtout dans le contexte actuel.


« Ca colle le vertige, ça, quand on y pense. Un monde qui continuerait sans nous. Hein. »
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Deux ans après la catastrophe de Tchernobyl, Gouri, qui vit désormais à Kiev avec sa femme et sa fille Ksenia, entreprend de retourner à Prypiat, dans l'appartement que la petite famille occupait jusqu'au 26 avril 1986, pour récupérer ce qu'il pourra y trouver, notamment la porte de la chambre de sa fille.
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La désormais ville fantôme après avoir compté un peu moins de 50 000 habitants, est située à 2,6 km de la centrale et ses abords sont strictement interdits et gardés par l'armée, Prypiat étant devenue hautement radioactive.
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C'est donc sur une moto à laquelle est attelée une remorque que Gouri va faire le voyage d'un peu plus de 150 kilomètres.
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Une seule halte, à Chevtchenko, où résident ses amis Vera et Iakov. Ayant été exposé aux radiations, ce dernier est en fin de vie quand il atteint la maison.
Piotr, surnommé le gamin aux chats parce qu'il en avait un certain nombre avant qu'il soit ordonné de les massacrer sous ses yeux, est là également, ainsi qu'une poignée d'autres personnes venues dîner ce soir-là.
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J'aurais dû éviter de lire ce livre juste après La Supplication : Tchernobyl, chroniques du monde après l'apocalypse de Svetlana Alexievitch, parce que bien que poignant, il résiste mal à la comparaison.
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La narration est plus distante, moins élaborée, encore que l'autrice de ce dernier étant restée très simple, on n'a pas non plus de grandes envolées, mais les témoignages m'ont beaucoup plus touchée.
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Bien entendu, le récit ne laisse pas indifférent, mais pour ce qui me concerne, l'émotion venait davantage de ma projection personnelle à la lecture des mots que des phrases de l'auteur proprement dites.
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Je remercie néanmoins mes amis Magali (Ladybirdy), Berni-chou (Berni_29), Sandrinette (HundredDreams), Cicou, Spleen et Wyoming, qui m'ont incitée à lire La nuit tombée, ce que je ne regrette nullement.
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Le temps d'un court récit, l'auteur nous remémore le drame de Tchernobyl.
La couverture dégage une force incroyable. On y voit une maison inhabitée au-dessus d'un immense trou noir. Elle semble y tomber, sans aucune chance de pouvoir s'en échapper.
Ce gouffre noir, sans fond, c'est la zone interdite.

*
Ce court roman s'ouvre sur une scène absolument saisissante.
Un homme, Gouri, revient seul, dans la région de Pripyat, deux ans après la catastrophe nucléaire.
Voyageant sur une vieille moto à laquelle est accrochée une remorque brimbalante, il traverse la campagne ukrainienne, les villages abandonnés pour se rendre dans la zone interdite.

"Il y a eu la vie ici
Il faudra le raconter à ceux qui reviendront
Les enfants enlaçaient les arbres »

Gouri est prêt à braver tous les dangers pour revenir dans son ancien appartement et récupérer quelque chose qu'il n'a pu emporter le jour de l'évacuation de la ville de Pripyat.
Qu'est-ce qui motive cette prise de risques insensée ?

Nous découvrons cette raison progressivement, mêlée aux pensées de Gouri qui nous ramènent sans cesse au drame du 26 avril 1986 et aux jours qui ont suivi le drame.

« La bête n'a pas d'odeur
Et ses griffes muettes zèbrent l'inconnu de nos ventres
D'entre ses mâchoires de guivre
Jaillissent des hurlements
Des venins de silence
Qui s'élancent vers les étoiles
Et ouvrent des plaies dans le noir des nuits
Nous voilà pareils à la ramure des arbres
Dignes et ne bruissant qu'à peine
Transpercés pourtant de mille épées
A la secrète incandescence »

Ce voyage à la nuit tombée est l'occasion d'évoquer ce monde qui n'existe plus, cette vie qui n'existe plus, ce bonheur simple qui n'existe plus. Dès les premières lignes, j'ai ressenti de plein fouet, à travers les souvenirs de cet homme, sa solitude, sa peur, sa peine, son angoisse de découvrir les restes de sa vie d'avant, de ne pas retrouver ce qu'il est venu chercher.

« Ce n'était pas la guerre, ni un tremblement de terre. Nul effondrement, nul cratère d'obus. N'empêche, il fallait partir. »

Deux ans après la catastrophe nucléaire, Gouri retrouve ceux qui, bravant les interdits, ont décidé de rester malgré tout, préférant ne pas quitter leur maison, leur village et leur cadre de vie auxquels ils étaient attachés.

Gouri découvre ces lieux figés dans le temps, ces terres massivement contaminées, les arbres encrassés d'une suie noire et collante, Pripyat devenue ville fantôme avec sa grande roue et ses nacelles vides, ses immeubles abandonnés et pillés malgré la radioactivité environnante.

« Mais avec le temps, ce qui finit par te sauter en premier à la figure, ce serait plutôt cette sorte de jus qui suinte de partout, comme quelque chose qui palpiterait encore. Quelque chose de bien vivant et c'est ça qui te colle la trouille. »

*
Ce que je retiens principalement, ce sont les personnages de ce roman, attachants, esquissés avec beaucoup de finesse et d'attention. Antoine Choplin reconstitue avec une belle aisance ses vies brisées. On ressent les douleurs étouffées, les vies chamboulées, le traumatisme de ce déracinement forcé.

Iakov et Vera sont un parfait exemple de cette capacité de résilience. Leur vie à deux qui s'achève est bouleversante.
Mais il y a aussi la Ksenia, petite victime contaminée par la radioactivité.
Ou bien le jeune Piotr, traumatisé par la disparition de ses parents.

Les silences ont souvent plus de poids que les mots pour décrire l'horreur et l'incompréhension, et Antoine Choplin s'en sert avec raison. L'auteur ne rentre pas dans les détails des souvenirs douloureux, mais j'ai été particulièrement sensible à l'aspect psychologique des personnages, leur compassion, leur pudeur, tant dans la douleur physique que psychologique, mais surtout leur courage face aux épreuves de la vie.

*
Une nouvelle fois, je suis charmée par l'écriture d'Antoine Choplin qui entremêle habilement la fiction et la réalité.
J'y ai retrouvé le style qui m'avait tant plu dans « le héron de Guernica », cette écriture épurée, simple, profonde et vibrante d'émotions, qui s'affranchit de ponctuation dans les dialogues pour mieux se fondre dans le récit.
Ce choix d'une écriture sobre crée un fort contraste avec les événements dramatiques, rendant le récit d'autant plus émouvant et poignant.

*
Pour conclure, je referme ce roman très touchée par sa poésie, son humanisme. Les personnages m'ont impressionnée par leur courage et leur force morale.
« La nuit tombée » est un beau roman que je vous conseille.
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Gouri part pour un voyage dans La nuit tombée, là où le temps est suspendu, figé dans la douleur, à Tchernobyl. La poésie des décors vides dans la nuit se mêle à la souffrance des survivants de l'effroyable catastrophe nucléaire.
Il vient de Kiev sur sa moto, pour récupérer un objet inattendu qui cristallise ses souvenirs familiaux dans l'appartement qu'il occupait autrefois. Mais la zone est désormais interdite. La quête de Gouri dans ce no man's land est bouleversante. En chemin, il s'arrête chez chez Eva et Iakov à Chevtchenko, dans un village contaminé. Ceux qui habitent encore là, ont perdu leurs illusions. Mais le temps d'un repas, on partagera une bouteille de vodka.
Son ami Kouzma le prévient : « Faut faire attention au plutonium, par ici. Un millième de gramme dans le ventre et t'es retourné en six mois. »
Un mot, un geste, un frisson dans la ville désertée, un oiseau qui vient se poser dans le silence assourdissant de la nuit, Antoine Choplin décrit subtilement les émotions de Gouri, comme de petites lucioles qui brillent dans la nuit, avec délicatesse et beaucoup d'humanité.
Des phrases courtes qui vont droit au coeur, une belle découverte.
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Ce court roman est très prenant car il embrasse plusieurs destinées brisées par la catastrophe nucléaire de Tchernobyl. C'est un roman de nuit, de rencontres, de peur, de besoin de revoir des lieux, de toucher des objets, de silence et d'émotion discrète.

Gouri entreprend un voyage à moto d'une nuit vers Pripiat, sa ville devenue champ de désolation et de radioactivité. Dans son périple, il passe une soirée de partage chez des amis dans un village sur la route. Des vies simples, épluchage de pommes de terre, retrouvailles émues avec son ami Iakov, irradié vivant ses derniers jours. Les mots passent, naturellement, les silences sont hurlants, la délicatesse imprègne l'atmosphère pourtant si tragique.

Puis, Gouri continue son voyage avec Kouzma qui va le guider jusqu'à Pripiat. Son partenaire connaît les moyens de franchir les passages, de se faufiler dans la ville fantôme jusqu'à l'immeuble où vivait Gouri. Là, ce dernier va récupérer un objet qui ne pouvait intéresser les pillards, pas un objet de valeur, petit et précieux, mais une porte chargée de l'histoire de sa famille, portant les marques de mesure de la taille de sa fille, Ksenia. Cet attachement viscéral à cette porte et la nécessité de l'enlever à cette désolation nous font à la fois partager le passé de Gouri et mesurer l'importance pour l'humain de l'objet, inanimé... Lamartine se demandait s'il avait une âme. Gouri en est convaincu car cette porte détient sa vie et celle de sa fille.

Un livre condensé, des phrases brèves, des dialogues saisissants de simplicité, sur la détresse mais aussi la poursuite de la vie au-delà des souffrances. La qualité de l'écriture renforce la perception des maux de ces gens auxquels elle fait communier tout lecteur capable d'entendre les silences de la nuit de Gouri.
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La nuit est tombée pour longtemps sur cette partie du monde contaminée par la faute des hommes. Hormis les animaux qui ignorent l’interdiction de fouler leur sol, les lieux sont déserts et personne ne semble avoir pris le risque d’y revenir.

Pourtant Gouri, un ancien habitant de la zone interdite, va le faire, poussé par le devoir d’accomplir une mission. Il prendra même le temps de s’arrêter en chemin pour diner et boire de la vodka chez des amis restés dans un village infecté. Après quoi, rien n’arrêtera ce père désireux d'aider sa fille malade, victime de l’irresponsabilité humaine.

Une histoire simple et courte qui appelle une réflexion essentielle sur la nécessité d’agir contre une activité humaine irraisonnée.
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Après le Héron de Guernica, Antoine Choplin nous revient avec un court texte saisissant qui se lit d'une traite. Quel plaisir de retrouver sa belle plume délicate !

Gouri, écrivain public habitant à Kiev, retourne dans la région qu'il a désertée deux ans auparavant. A moto, traînant une remorque, il traverse des paysages désertiques, des villages peu habités. Nous apprenons que Gouri veut retourner dans "la zone", celle qu'il a quittée après "les événements", afin de récupérer, dans son ancien appartement, un objet particulier pour sa fille malade. le lecteur comprend à demi-mot : Tchernobyl, la catastrophe. C'est aussi l'occasion de retrouver les amis, ceux qui sont restés malgré la menace radioactive, et de se souvenir, autour de grandes tournées de Vodka, des fantômes du passé et de l'avenir qui se dessine pour ceux qui ont survécu.

Antoine Choplin, avec une économie de mot, témoigne de la gravité de l'évènement sans jamais le nommer, de l'horreur des vies anéanties et de l'absurdité de la nécessité "d'enterrer la terre", un travail patriotique effectué par des ouvriers condamnés à l'avance. Mais l'auteur n'oublie ni l'amitié indéfectible entre les personnages, ni la beauté de la campagne ukrainienne sous l'éclat de la lune, à la nuit tombée. Chaque mot est pesé, l'émotion affleure à chaque page, l'empathie pour les personnages inexorable. Un roman sombre mais, comme toujours, empli de poésie et d'humanité. Un beau roman alliant pudeur, retenue, force et intensité, du grand Choplin !
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«La lumière est douce, tamisée par les bois de bouleaux et de résineux qui encadrent la route. Un semblant de voile, moins qu'une brume, paraît ainsi jeté sur le paysage, et on peut en distinguer le grain dans l'air. Il est plus de quatre heures, il ne tardera pas à faire froid.»

Gouri devenu écrivain public à Kiev où il vit avec Teresa sa femme et leur fille Ksenia, s'achemine vers la zone interdite autour de la centrale de Tchernobyl au volant de sa moto à laquelle est accrochée une remorque. Il veut retourner à Pripiat, là où il vivait avec sa famille avant la catastrophe.
Il s'arrête en soirée, chez Eva et Iakov à Chevtchenko, village contaminé et déserté proche de la zone interdite. Deux ans se sont écoulés depuis son départ. «On dirait que rien n'a changé ici» Et pourtant ici règne le silence, les maisons sont abandonnées et d'étranges phénomènes ont lieu mais il est vrai que les rares habitants qui continuent à y vivre le font dans un climat d'irréalité. Les souvenirs d'un temps révolus remontent et la vie se poursuit malgré les risques. Ils ne peuvent pas se faire à l'idée que leur monde soit devenu interdit. Ceux qui ont été contraints au départ ont du mal à l'admettre.

Désespoir ou élégance ? Gouri se pose la question et la pose à ceux qui l'écoutent réunis autour de lui chez Iakov, lui qui a composé un poème par jour depuis la catastrophe..... «Quelques mots chaque jour, oui un poème si on veut, comme un petit crachat de ma salive à moi dans le grand feu. Et ce sera comme ça tous les jours que Dieu me donnera.» :

« La bête n'a pas d'odeur

Et ses griffes muettes zèbrent l'inconnu de nos ventres

D'entre ses mâchoires de guivre

Jaillissent des hurlements

Des venins de silence

Qui s'élancent vers les étoiles

Et ouvrent des plaies dans le noir des nuits

Nous voilà pareils à la ramure des arbres

Dignes et ne bruissant qu'à peine

Transpercés pourtant de mille épées

A la secrète incandescence.»

Un texte intense qui touche car même au milieu d'un monde contaminé, ce petit groupe d'hommes et de femmes reste digne et maintient la vie qui continue à palpiter comme cette bougie tremblotante à la fenêtre de la chambre de Iakov qui accueille Gouri au retour de son expédition à Priapat. Un texte plein d'humanité, à la beauté fragile et tragique.
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