La nuit attendra/
Jacques ChancelJacques Chancel né en 1928 part en Indochine en 1945 en qualité d'attaché aux transmissions pour l'armée, seulement âgé de 17 ans, en ayant triché sur sa date de naissance. Pour lui, sa patrie, c'est l'aventure.
Faisant des rencontres favorables, notamment celle de l'écrivain et journaliste
Lucien Bodard, qui lui permettent de devenir correspondant de guerre, il nous raconte cette aventure d'un jeune homme audacieux et ouvert.
Pendant 10 ans il va parcourir le sud-est asiatique en cette qualité et celle d'animateur à Radio France Asie et même musicien au sein d'un groupe et rencontrer à la terrasse du Continental, nid d'espions, là où s'ancrent toutes les curiosités et où les honnêtes gens et les salauds se côtoient et se confondent, des personnages charismatiques tels que
Graham Greene,
Jean Hougron,
Jean Lartéguy, Raymond Cartier, Pierre Schoendoerffer, etc…
On y capte toutes les informations les plus précieuses ainsi que les échos des dernières vilenies. Au cours de ses émissions, de ses reportages, de sa fréquentation des cercles de presse et des réunions de correspondants de guerre, il va se tisser un réseau de connaissances extraordinaire.
Le jeune Chancel n'est pas un idéaliste convaincu penchant pour un camp ou l'autre dans cette guerre qui a commencé contre le communisme. Quoiqu'il pense que c'est une quête que de vouloir être soldat, il songe à l'instar de son entourage que le déshonneur est une possibilité qu'il faut envisager. Les militaires du corps expéditionnaire qu'il va côtoyer sont souvent sans illusions et n'hésitent pas à le dire : « Nous sommes des bêtes promises à l'abattoir ! » Il émane de cette armée résignée et sans espoir une dignité suicidaire qui ne voit comme seule alternative que le départ plutôt que la fuite. Hélas, le gouvernement français restera sourd et obstiné dans son incurie.
La description que nous offre Chancel d'une société saïgonnaise corrompue est précise et sans concession. Nous sommes autour des années 50 et la guerre s'étend du Nord vers le Sud, mais Saïgon fait la fête tous les soirs.
Sa rencontre avec l'empereur Bao Daï lui laissera découvrir un personnage sans charisme, sans pouvoir. D'empereur, il n'a que le titre et il n'a même pas le goût du pouvoir. Il charme les salons et s'honore d'avoir la réputation d'être un bon fusil. Sa délicieuse épouse Nam Phuong est délaissée sans vergogne au profit d'une blonde vulgaire.
Quittant temporairement la Cochinchine, Chancel part au Tonkin, car c'est là que va se jouer le sort de l'Indochine, dans la cuvette indéfendable de Diên Biên Phu plus précisément. Nous sommes alors en novembre 1953.
Parole de soldats gradés enregistrées par Chancel : « Nous avons été trahis par les mollassons du gouvernement français et de leurs vassaux, les chefs de notre armée : la bataille est perdue depuis le premier jour, on nous a envoyé au massacre, il y aura des milliers de morts parmi les nôtres. » Mais cet entretien sera censuré par Radio France Asie. Et le cauchemar ne faisait que commencer qui va durer jusqu'au 7 mai 1954 : la fin de tout, le massacre, trois mille morts….et onze mille prisonniers pour une « longue marche »…
Un récit autobiographique qui a valeur de document et qui intéressera particulièrement tous ceux qui aiment le Vietnam après avoir aimé l'Indochine.