Je viens de commencer ce livre, en ce 20 octobre 2022, choisi pour partie parce qu'il fait partie du catalogue « Rentrée littéraire » de la librairie virtuelle belge francophone Lirtuel, et pour autre partie parce qu'il avait été présenté dans la sélection hebdomadaire de Babelio il y a quelques semaines – c'est une sélection qui, même si elle ne me convainc pas toujours, me sert immanquablement de source d'inspiration pour enrichir ma liste de souhaits, parfois même directement ma PAL !
Or, je n'en suis pas encore à 20%, et déjà je suis profondément agacée, peut-être un peu découragée aussi, par ce besoin d'être tellement dans l'air du temps que la lecture en devient poussive et inconfortable ! En effet, le héros (ou la héroïne ? comment dit-on dans ce cas ?), Dex de son prénom, est un.e moine vraisemblablement de genre non-binaire. Soit. Mais était-il nécessaire de nous servir du « iel » à travers toute la narration ? Oui, c'est ainsi qu'on dit désormais pour les personnes non-binaires, que je respecte comme j'aime penser que je respecte n'importe quelle personne, indépendamment de son genre, de son appartenance ethnique ou religieuse ou que sais-je encore… (dont je me fiche éperdument, et j'ose le dire : ce ne sont pas ces distinctions-là qui dictent mes sympathies ou antipathies, cela relève de la vie strictement privée !)
Notons toutefois que ce choix d'un.e tel.le personnage a permis quelques autres trouvailles bien opportunes, comme par exemple le concept de « froeur » : mention à la traductrice, pour le coup, car il semble bien que la VO s'est contentée du terme passe-partout déjà existant de « sibling » - sachant que « siblings » (au pluriel alors) désigne les frères et soeurs dans une fratrie. Mais alors, ce iel, qui rassemble tout à la fois il et elle pour les indifférencier tou.te.s deux, c'est juste illisible, au secours quoi ! (Et je dois dire : je suis rassurée, si l'on peut dire, de lire que plusieurs autres critiques soulèvent ce point comme un aspect pénible, de façon récurrente, même de la part de quelques lecteurs qui ont pourtant donné une très bonne note à ce livre !)
Pour moi, d'emblée, c'est rédhibitoire ; ainsi, à moins que la suite de l'histoire ne soit hyper-attractive, je ne crois pas mettre une note hyper-positive…
Bref, je me replonge dedans avant d'aller plus loin dans ce commentaire. Heureusement, ce livre est assez court pour que je m'arme de courage et tente d'aller jusqu'au bout malgré cette gêne – on n'efface pas 50 ans d'apprentissage de distinction entre « il » et « elle », de « masculin [qui] l'emporte » etc. en un coup de cuillère à pot du politiquement correct…
Me voici de retour 6 jours plus tard, j'ai terminé ce livre hier soir mais n'ai pas eu envie de revenir tout de suite. Mon sentiment global reste une grande perplexité.
L'autrice a réussi à créer, à mes yeux, un monde vraiment très « bisounours », et définitivement pas cohérent, de même que sa démarche philosophique (car nos deux héros, zut je laisse au masculin !) m'a semblée trop éthérée pour être sérieuse, et en plus contradictoire par certains aspects…
On est donc dans un monde post-apo, sauf que l'apocalypse (écologique) tant redoutée par certains de nos jours – et sans doute avec une grande part de raison, mais là n'est pas l'objet de mon commentaire – n'a pas eu lieu, car il y a eu un « Éveil », période depuis laquelle l'être humain a renoncé à tous les produits dérivés du pétrole (qui sont extrêmement diabolisés, re-avec une grande part de raison sans doute), a laissé 50% de la nature vivre sa vie et n'occupe plus que les 50% restants dans des habitats groupés et sympathiques. Tous les progrès techniques de nos dernières années ont persisté, mais désormais on a un ordinateur « à vie », qui marche bien sûr à l'énergie solaire, tandis que l'on se déplace à vélo ou vélo-cargo (qui ont même des allures de caravanes, pour certains !) qui fonctionne à la force des mollets et/ou au « biogaz » (sans que l'on sache d'où vient ledit gaz et en quoi il est bio, mais ça semble suffire à l'autrice pour résoudre tous les problèmes environnementaux…). On tue parfois encore des insectes par inadvertance, et alors on s'excuse, comme on mange encore de la viande mais de façon tout à fait raisonnée et épisodique ; en revanche, on ne s'excuse jamais auprès des végétaux, que l'on consomme majoritairement…
Dans ce monde un peu trop idyllique qui nous est présenté, et qui ne m'a jamais tout à fait convaincue, car tout-le-monde-il-est-gentil et je n'y crois pas, les coups de blues peuvent survenir, c'est d'ailleurs ainsi que commence toute l'histoire. Outre cela, deux choses principales m'ont dérangée, même s'il a fallu avancer dans ma lecture pour bien les appréhender.
D'abord, l'autrice laisse une grande part à la religion, et cela me pose vraiment question : notre Dex est moine dans un monastère, puis va devenir « moine du thé », ce qui semble un joli métier… mais l'autrice a-t-elle donc oublié que tant et tant de conflits de par le monde (et les catastrophes humanitaires ET naturelles qui peuvent en découler plus ou moins directement) sont justement liées aux religions – ou du moins à ce que certains en ont fait ? Ah mais je me trompe ! Ici, en fait, il y a désormais une seule religion, qui en plus serait partagée par tous (waouh la liberté !) – ce n'est jamais dit, mais ça semble sous-entendu, c'est donc parfait si tout le monde adore les mêmes dieux (sans se poser de questions)… qui servent à quoi, au fait ?...
Ensuite, sa vision de la religion, et d'une vie de moine en particulier, est quand même très individualiste, aux antipodes de la vie monastique telle qu'elle a été organisée autrefois (et telle qu'elle persiste en quelques lieux de nos jours). Ici, il n'est pas tellement question de vie en communauté, de service aux autres ou de prières – même si ces aspects sont présents, ils semblent tout à fait secondaires, par rapport aux besoins quand même très, très égocentrés des moines, c'est un non-sens ! Ainsi, quand Dex décide qu'il (re-zut) veut vivre une autre vie, il s'improvise « moine du thé » alors qu'il n'y connaît rien, il refuse même de suivre une quelconque formation en ce sens, et propose ses services au gré des villages, services qui sont bien sûr d'abord boudés, on nage en plein surréalisme! Il dira ensuite qu'il a dû « beaucoup travailler » (ce qui se ressent à peine) avant de pouvoir offrir un vrai service (rémunéré, bien sûr). Bien, bien… Est-ce bien sérieux ?
Mais venons-en à quelques incohérences plus flagrantes encore, et la principale concerne… le fameux « iel » ! Quand Dex rencontre le robot Omphale, l'une des premières questions qui ressort est de savoir si le robot a un genre, et il s'avérera qu'il est neutre. Et Dex tout content de lui répondre qui lui (je ne sais comment dire autrement) aussi… et de lui demander, mais alors, pourquoi Omphale parle de lui-même au masculin (eh oui) ? Et notre robot, très logique, lui répond que c'est… par facilité grammaticale !?! J'ai presque souri, sauf que l'autrice continue de nous servir du « iel » à la pelle dès qu'il s'agit de Dex. Re-au secours !
Il est peut-être intéressant de noter que la VO anglaise n'a pas opté pour le pronom « it », qui désigne pourtant le neutre (les objets… mais aussi les animaux et les bébés par exemple !), mais utilise le pronom « they » pour Dex – autant dire que ça ne doit pas être plus aisé à lire en VO anglaise, alors qu'une forme neutre existe bel et bien dans la langue, mais je suppose qu'elle n'est pas trop acceptable pour un être humain… même si, par ailleurs, le robot va répéter plusieurs fois à Dex qu'il (oui, je sais…) n'est rien d'autre qu'un animal parmi d'autres, dans ce livre à tendance quand même clairement écologique ! Alors ?
Un autre point, toujours lié à ce qui précède, m'a posé question : quand les gens croisent les moines au monastère ou dans la rue, bizarrement ils savent immédiatement s'ils doivent dire « frère », « soeur », ou « froeur » - car, oui, oui, les trois existent, tout n'est pas rassemblé en « froeur » par facilité ! Pourtant, n'avez-vous jamais rencontré une femme à la voix si grave, qu'on se demande un instant si c'est bien une femme, malgré sa poitrine imposante ? Ou un homme au visage si androgyne, qu'on se demande si c'est bien un homme, malgré ses épaules bien carrées ? Et ce déjà à une époque où on ne parlait absolument pas de genre (quel qu'il soit) comme aujourd'hui !
Bon sang, mais comme c'est génial, ce monde futur, où il existe trois genres et que c'est désormais « normal », mais qu'en plus on sait d'un seul coup d'oeil qui est qui !?
Que reste-t-il donc de ce livre ? Vous savez que j'aime trouver au moins un point positif dans mes lectures – ou alors, j'abandonne. Ici, je soulignerai la rencontre bien sympathique (si, si, je vous promets !) entre Dex et Omphale, lui qui est le fameux « recyclé sauvage », mais je vous laisse découvrir ce que cela veut dire exactement si vous êtes tenté par le livre. le dialogue qu'ils instaurent, à essayer de se comprendre l'un l'autre – ou, plus exactement, le dialogue qu'Omphale initie, car il souhaite vivement en savoir davantage sur les humains, alors que Dex reste dans sa bulle d'égocentrisme, même s'il y a une vague ouverture à force de fréquenter le robot ; bref, ce dialogue est riche et porte sur plein de questions d'ordre philosophico-spirituel, sur la nature aussi, la place de l'être humain dans le monde (même si on est sur la lune d'une planète inconnue), et le besoin (ou non) d'avoir un but dans le vie, présenté cependant comme une espèce d'opposition à la simple contemplation et à l'émerveillement.
Je regrette que les problèmes de formes et les incohérences de fond relevées plus haut (et quelques autres, mais j'ai déjà bien assez écrit) m'ont peu à peu tellement gênée que je suis restée hermétique à ce discours. La seule raison qui m'ait permis d'aller au bout, c'est que le livre est effectivement court, et semble s'accélérer dès la rencontre avec Omphale (qui ne survient qu'après un tiers d'auto-centrisme sur Dex !), qui est sans aucun doute le personnage le plus sympathique de l'histoire. Sa logique – même si je ne partageais pas toujours son point de vue – est absolument imparable, et tellement simple tout à la fois, face à nos questionnements humains parfois bien excessifs, le tout sans que l'autrice cherche à dire que l'un aurait tort et l'autre, raison ; elle laisse le lecteur s'approprier les choses et se faire sa propre idée.
Mais cela ne suffit définitivement pas à en faire ce que j'appelle un « bon livre », ou peut-être ne l'ai-je tout simplement pas lu au « bon moment » pour moi ? Car, oui, je reste persuadée qu'on est plus ou moins réceptif à tel ou tel livre en fonction du moment précis où on le lit, en fonction des événements que notre vie traverse à ce moment-là. Et, clairement, ce livre n'était pas pour moi maintenant… et je ne lirai pas la suite !
Commenter  J’apprécie         165