A première vue, Roseville vit dans l'abondance : abondance de biens matériels et de nourriture, abondance de joie populaire joyeusement mise en scène dans les parades de la cité. L'origine de cette abondance s'appelle le Pâtâmâch : de la pâte à mâcher rose bonbon, coulant à flot et permettant non seulement de nourrir les bonnes gens mais encore de leur fournir tous les biens matériels nécessaires à une vie civilisée et confortable. le prix de cette opulence manifeste peut paraître bien dérisoire : Roseville est sous le pouvoir de Rosemou, dictateur certes, mais surtout sauveur de la population lors d'une guerre légendaire durant laquelle la famine menaça. Rosemou inventa alors le pâtâmâch, et la belle vie.
A Roseville, l'embrigadement de la jeunesse commence à lécole. Justement, on y fait la connaissance du petit Roger, qui avoue de grandes ambitions pour le pâtâmâch. D'abord moqué par ses camarades, il devient bientôt l'une des éminences grises de la cité et le bras droit de Rosemou. La belle mécanique se grippe cependant lorsque Roger découvre, parmi les corps des conspirateurs éliminés, celui de sa propre mère, éliminée pour le bien de la cité. Ces conspirateurs, soutenus par les Hygiénistes, lesquels habitent une cité rivale à Roseville qui a érigé autour de cette dernière un mur si haut qu'il l'isole du reste du monde et de la nature même, remettent en cause le pouvoir de Rosemou. Roger, ayant découvert le complot et l'infâme vérité sur Rosemou et sa formidable invention, n'aura de cesse de poursuivre sa vengeance, laquelle n'aura pas que des répercussions personnelles.
Du rose, du mou, de la courbe à souhait : le trait de
Killoffer, ainsi que le choix d'une palette chromatique limitée, donnerait un caractère enfantin à l'album. le monde du chewing-gum n'est cependant pas celui des bisounours : ainsi
Killoffer et Capron ont-ils imaginé cette fable cynique et acide qui, bien que brassant des thèmes fort sérieux et intéressant, ont réussi à garder un côté divertissant à l'ensemble. Pourtant, rien de ce qui n'apparaît dans cet album n'est vraiment réjouissant. Roseville est une société de consommation qui ne consomme qu'un seul produit et en devient physiquement dépendant. Les habitants, abêtis, se rendent, joyeux, aux parades qui ne visent qu'à renforcer leur dépendance. En un certain sens,
Viva pâtâmâch fait penser au film Soleil vert, notamment pour ce qui est de la révélation de la nature du pâtâmâch ou du soleil vert, et dans les différences notables de classe sociale qu'induit la consommation de ces produits. Pour autant, il ne faudra attendre aucun salut provenant d'une humanité bienveillante ou courageuse dans l'album de
Killoffer et Capron. Les personnages sont tous plus vils les uns que les autres : idiots et beaufs sont les habitants de Roseville, désolants sont les conspirateurs, ingrat envers ses parents et avide de pouvoir est Roger. Au moins, il reste l'humour, mais Roseville ne sera pas sauvée par ça. le lecteur, lui, y verra un autre argument pour découvrir la pâtâmâch.