Ici, la mer est parcourue de fines ondulations argentées, comme un lac de montagne; on contourne une langue de terre, et le sund vire au gris plomb, tandis que de longues vagues aux cimes blanches commencent à se renvoyer le bateau les unes aux autres.
Et cette vallée verte, avec son lac et ses gens, et ces montagnes et ce ciel; ainsi, n'y aurait-il jamais de fin du voyage, à la contemplation?
Voici déjà que prolifèrent les luxuriantes forêts scandinaves : des pins hauts comme des tours, ou comme des pins cembro, des myrtilles jusqu'aux genoux et des fougères jusqu'à la taille; plus bas, quelques chutes d'eau, des sapins et des épicéas, telles des cathédrales; puis, quelques cascades plus bas encore, nous voilà vraiment en bas, au milieu d'un moutonnement de sorbiers, d'aulnes, de saules et de trembles; ici, les frontières de la végétation sont si nettement marquées, si rapprochées les unes des autres qu'on en vient à se demander comment, en Norvège, la nature fait pour observer les lois fondamentales de la biologie et de l'écologie; mais ce doit être une question de culture générale.
Le bouleau, le saule, le lichen et l'homme : rien de plus résistant au monde.
La nature fait œuvre pierre, tandis que l'homme bâtit en bois; du moins en fut-il ainsi tant que régna sur le monde un ordre naturel des choses.
Chose curieuse : à peu près partout au monde, c'est dans les régions montagneuses que la tradition populaire de la sculpture, de la peinture et de la broderie est la plus répandue.
Puis, dans l'un des musées d'Oslo, j'ai trouvé, entre autres choses, un vieux tableau étrange, qui représente saint Jean-Baptiste baptisant le Christ dans un fjord glacé de Norvège; dommage qu'ils n'aient pas une fuite en Egypte à skis; du reste, les tableaux populaires représentent le Crucifié avec un visage serein, presque heureux; que l'on est loin du pathos catholique qui entoure les martyres et la mort!
Croyez-moi, le monde est beau.
C'est finalement assez simple et toujours pareil, mais on n'a jamais fini de s'émerveiller devant la force et la beauté de tels ouvrages.
Tout est là : l'homme lui aussi devrait tailler les grandes choses pour les élever et les aiguiser, et arrondir avec douceur les petites. p 136
( à propos de la forêt Suédoise) Ce ne sont pas des sous-bois, ces jeunes bosquets, ces taillis et ces vieilles forêts que l'on trouve chez nous mais tout cela à la fois;[...] une jungle nordique et une forêt de contes de fées, de lutins et de géants, une authentique forêt germanique et une immense usine à bois; on y voit encore courir des élans barbus, au long mufle et aux bois en forme de pelle, et je serais bien surpris de ne pas croiser par ici un loup, un Petit Chaperon Rouge, une licorne et d'autres bêtes sauvages.