Nous ne sommes pas en Louisiane ni dans le Montana. Ici, c'est le Kentucky, le pays de l'herbe bleue et du whisky de maïs frelaté et distillé illégalement, le pays qui regarde la chaîne voisine des Appalaches avec envie, car c'est dans les entrailles de celle-ci que se dissimule la richesse. Ici, on pourrait parler d'or noir et, même si ce n'est pas de l'or, le charbon est ce qui fait tourner l'économie. le charbon est extrait par des mineurs exploités par des compagnies toutes-puissantes venues de la côte Est. Perry James, 17 ans, est pris dès le début du roman dans les luttes qui opposent les patrons aux syndicats. Les uns font tourner leurs mines en faisant venir des travailleurs d'autres Etats (qu'on appelle les jaunes), les autres aimeraient devenir la force officielle de représentation des mineurs et imposer ainsi des conditions de travail plus humaines : salaire minimum, équipements de sécurité obligatoires, assurances contre les accidents et les maladies. Bientôt, Perry parvient à saisir une opportunité pour se sortir de cette terre ingrate. Il intègre les Job Corps, qui mêlent formation scolaire et professionnelle ; mais son père meurt dans l'incendie d'une école dans laquelle se tenait une réunion syndicale. Poussé par son sang, Perry quitte les Job Corps et revient au pays, tant pour nourrir sa famille que pour venger son père.
Dans le Kentucky des années 1960, la misère sociale n'est pas un concept abstrait. Des vallons entiers du plateau du Cumberland vivent sous la coupe des grandes entreprises d'extraction de charbon, gourmandes en hommes et jamais avares de refiler à qui la silicose, à qui un coup de grisou. Tout appartient à la compagnie : les mines, bien-sûr, et le matériel qui va avec, mais aussi les baraquements dans lesquels s'entassent les mineurs et leurs familles, et les magasins où l'on se ravitaille à crédit. La vie là-bas a quelque chose du piège dont on ne se sort pas, sauf si on travaille dur, qu'on ne boit pas et qu'on met son orgueil dans sa poche. Seulement voilà : hormis les guenilles et quelques bricoles, l'orgueil est souvent le seul bien que ces mineurs possèdent.
Au croisement du roman noir, de la poésie et de la tragédie,
Vers une aube radieuse est aussi brillant qu'il est sombre. La langue de
James Lee Burke est celle de la poésie. Qu'importent les filons noirs et humides où l'on respire la poussière à pleins poumons, qu'importe que l'on joue au chat et à la souris avec les agents de l'ABC (Alcoholic beverage control) en transportant des litres de gnôle fabriqués dans des alambics de fortune, qu'importe encore que le pointeur de la mine puisse dire, entouré de deux gorilles armés, que l'on ne sera pas embauché le lendemain. le paysage, bien commun, s'offre à tous, aux pauvres et aux puissants. Page après page, ce sont les montagnes boisées aux odeurs de pins, et les rivières aux cours chantants, et l'herbe bleue et la lune blanche qui distillent un peu de leur beauté. Cette poésie de la nature convient aux caractères entiers des hommes de la région, et plus particulièrement de Perry : intolérant à l'injustice, profondément libre, il est le pur produit de sa terre, bien que son salut doive passer par l'abandon de cette dernière.
Mais les choses ne sont jamais simples. La tragédie s'invite alors, tragédie contemporaine dans laquelle les dieux antiques sont sacrifiés sur l'autel de l'argent. C'est lui, le dollar, le vrai dieu. Il permet de posséder les biens, il permet aussi de faire la loi et d'y soumettre les hommes. L'autre divinité qui tient les ficelles de la destinée de Perry, c'est son propre orgueil, cette parcelle irréductible de l'humanité. L'orgueil va souvent contre la raison : il pousse Perry à abandonner sa formation aux Job Corps, pourtant bientôt terminée ; il pousse Perry à s'aliéner les frères
J.W., teignes parmi les teignes, fous dangereux et dangereusement déterminés à ne jamais se laisser prendre en position d'infériorité.
Que tout se finisse bien ou mal, là n'est pas la question. Ce n'est pas important. Ce qu'il importe, c'est de comprendre que
Vers une aube radieuse est autant un roman de formation façon brutale (oubliés les atermoiements sentimentaux : ici, ça picole sec, les gosses sont arrachés aux familles qui ne peuvent ni les soigner ni les nourrir, et l'on règle les problèmes à coup de couteaux, de Luger ou par une belle flambée façon bûcher) qu'un morceau de poésie sans chichis dans lequel la nature surpasse l'homme par son inaliénable et intemporelle beauté. Les hommes sont des bêtes et traités comme tel, la trahison et la violence sont dans leur sang. On s'étonnerait tout de même que tout cela se termine heureusement.