ue fait-il, Averroès ? Que fait-il, le coude sur un livre et le menton dans la main ? Il cogite . Si un Latin parlait, c’est ainsi qu’il dirait : hic homo cogitat . On voudrait comprendre ce que cela signifie, et recèle. La modernité l’ignore, l’a oublié, peut-être l’a recouvert. Sauf en quelques formules, des idiotismes, de l’argot, un peu de poésie, elle n’a depuis longtemps plus qu’un mot, celui de pensée. Cogito ergo sum ? Je pense, donc je suis. Que suis-je ? Une res cogitans, une chose qui pense . On le répète, mais c’est flou, et trompeur aussi 1 . Car on pourrait fondre cette pensée dans la conception et l’y réduire. L’homme sent, puis imagine, et à titre d’homme enfin « pense » ou conçoit, c’est-à-dire produit et combine des notions générales, des concepts. Or cela, ce n’est pas « cogiter ». Qu’on suive ici les nuances scolastiques. Quand il leur faut désigner l’acte de l’intellect, qui constitue chez l’homme la faculté suprême des principes et des idéalités, le verbe qu’utilisent les médiévaux est intelligere, qu’on doit rendre à la lettre par « intelliger 2 ». L’homme intellige, a une intellectio, lorsque par son intellect « séparé », sans organe, il appréhende un universel, non plus singulièrement ceci ou cela – ce qu’induit la matérialité de son être percevant –, mais l’essence même d’une réalité, sa nature commune, dépouillée d’accidents, valable pour tous de la même façon et tout le temps.
fantasmer n'éloigne pas du monde. Le fantasme cogité nous en approche plutôt, nous y plonge, comme si par lui, nous gagnions le centre des choses. Dans ce fantasme, l'homme perspicace débusque le réel sous la pellicule et l'extrait de sa gangue. (p. 35)
Ainsi fait Avicenne. Citant le Coran, il soutient de ce cogiter qu il n est en soi" ni de l'est, ni de l'Ouest" et que l individu qui l opère est un passeur entre deux rives: celle où la lumière de la rationalité pointe, s'épand, puis celle, opposée où elle sombre et s'éteint.