« Tu devrais écrire un livre dans lequel rien n'arrive. »
Ami lecteur, si, dans "
Le Roitelet", tu cherches un roman avec une intrigue bien ficelée, une trame narrative bien construite ou chronologique, des personnages hors normes plus vrais que nature, passe ton chemin.
Jean-François Beauchemin nous propose au contraire un texte fragmentaire composé d'une soixantaine de courts chapitres comme autant de petits tableaux dans lesquels il dépeint la vie quotidienne de personnages ordinaires, mais en y cherchant « des nuances intéressantes et pleines d'enseignements » comme dirait
Dostoïevski. Et j'ai été séduit.
Je ne connaissais pas cet auteur, mais après quelques recherches sur internet, le narrateur du "Roitelet" lui ressemble étrangement.
Écrivain de soixante ans, ce dernier vit paisiblement avec sa femme et ses deux animaux de compagnie au creux d'une douce vallée québécoise, moment précieux de l'existence propice au bilan. Il revient sur sa vie, s'émerveille de la beauté du monde, médite sur le temps qui passe, sonde son âme et s'interroge sur ses liens avec la nature, avec Dieu. Mais humblement, il laisse à son frère cadet éprouvé par la schizophrénie le coeur battant du récit.
La très belle scène inaugurale du roman, sorte de crèche du Québec, voit les deux frères adolescents aider une vache à mettre bas entourés d'un attroupement d'animaux curieux. C'est à la suite de cette nativité que les premiers signes de la maladie du frère cadet se manifestent.
Avec une tendresse infinie, le narrateur raconte ensuite cette relation fraternelle, décrit leur complicité, l'amour triste et inconditionnel qui les lie, contemple son frère bizarre sans taire les symptômes de sa schizophrénie.
J'ai lu avec plaisir, charmé par ce récit poétique de l'instant qui peut toutefois agacer en raison d'une forte dose de gentillesse dans le récit. Ici, tout le monde est aimable et bienveillant, même les animaux domestiques. Si par hasard, un méchant fait son apparition, le narrateur lui explique par écrit la vilénie de ses actes. L'esprit du livre emprunte ainsi les sentiers de l'enfance, des chemins pavés de simplicité et d'émerveillement, bordés de fleurs fragiles ou d'obstacles, truffés de rêves de beauté ou de bonté.
Le récit de la relation entre le narrateur et son frère déborde de douceur et de tendresse, mais décrit également leur combat intérieur pour tenter de donner du sens à leur existence. La recherche spirituelle est ainsi au centre de leurs échanges avec des phrases déroutantes. « On dirait que Dieu, après avoir visité ma vie, en est reparti en éteignant la lumière », annonce par exemple le frère schizophrène, étonnamment conscient des ténèbres qui l'habitent. le narrateur semble, lui, plus pragmatique, affiche un athéisme de façade tout en reconnaissant un besoin de lien avec ce qui l'entoure : « Je suis sûr que Dieu n'existe pas. […] Mais il existe en moi un besoin de Dieu dont je n'arrive pas à me débarrasser. »
La langue de
Jean-François Beauchemin m'a conquis et fait penser par moments à celle du regretté
Christian Bobin, une écriture poétique pour adoucir les âpretés de la vie, profonde pour en interroger les mystères. le thème de la schizophrénie aurait pu alourdir ou obscurcir le récit, mais la plume de l'auteur l'allège et l'éclaire au contraire.