Bor Durin est la nounou de Guerre et paix, il est le lien entre le commandement militaire et l'intelligence artificielle tactique les guidant alors que la guerre est déclarée. Guerre et paix est neutralisée par Petit Poucet, son ennemie, ce qui provoque une cascade d'accidents fatals. La seule chance de survie pour Bor est d'entrer en stase dans un caisson. Il est réveillé sept ans plus tard par un duo surréaliste formé de Maxton, un lutin à l'air chafouin, et Pitchin, un colosse à la tête à moitié dévorée et auquel il manque un bras. Au sommet de leur abri, Bor peut embrasser les alentours, une nature dévastée, une mer vraiment pas accueillante et au milieu d'un désert à perte de vue, une montagne de corps. En plus des deux frères, il rencontre Grootz leur père, cadavre habité par un gros ver blanc, Reïla la femme obèse de Pitchin et leur fille Laetitia, une grande crevette rose en pleine crise d'adolescence. Maxton conduit Bor à la pyramide de corps et lui présente sa soeur Esil encastrée dans cet amalgame palpitant, et un contact se crée. le monde s'est toujours écroulé autour de Bor par la mort de ses parents et de sa soeur, et il a toujours vécu dans la culpabilité du survivant, coupé des autres mais il peut enfin se fondre dans la multitude lénifiante avec la présence d'Esil comme porte d'entrée. Une voix dans sa tête pousse Bor à partir vers le nord et il cède, accompagné de Laetitia, aidés par la montée des eaux et par Crâne-aux-Vents qui les prend à bord de son aile volante à pédales.
Le récit adopte les codes d'une fantasy onirique au contact de paysages et de personnages étranges dans l'optique du voyage sur une Terre changeante, la géophysique martyrisant les conventions biologiques. En arrivant à Cheebar, ville où tout a commencé pour lui, Bor réalise l'étendue des modifications de la matière, imbrications, reprogrammations génétiques et changements de taille. Ces bouleversements scientifiques donnent à l'histoire un aspect de conte exubérant et angoissant tel un rêve de drogué, ou seulement une anticipation probable portée par un souffle de créativité monstrueuse, une quête initiatique. L'atmosphère générale n'est pas si sombre, mais juste désenchantée par la perte inexorable du passé, et surtout excitée par la capacité d'adaptation et l'extrême variété des situations.
Le début de l'histoire est d'une belle simplicité mêlant une action brutale de chair et de sang avec une science fiction cyberpunk porteuse de destruction et de déshumanisation physique. Ce qui mène à la situation du naufragé temporel, l'écrasement égocentré de la découverte du monde d'après, d'horreur biologique et de mutations surprenantes, à l'image d'une famille de freaks forcément dérangés. Ce virage de l'évolution dans l'étrangeté fait jaillir l'improbable et le cauchemardesque dans une sorte de soap opera dystopique d'un comique glauque. Cette différence radicale dans les relations humaines, dans l'environnement existentiel de folie pour Bor, un solipsisme subi, est un vertige. La guerre a provoqué des distorsions quantiques, des reconfigurations d'échelle d'êtres vivants ou d'objets inanimés, agrandis ou miniaturisés, des fusions et interpénétrations, ubiquités physiques localisées. Au centre du livre se trouve cette montagne de corps soudés et tressés par une force centripète, comme cette boussole dans la tête du héros qui lui indique le chemin de son pèlerinage, ce magnétisme entropique qui devient la trame tordue de la réalité palpable.
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