Citations sur Françoise Héritier, le goût des autres (47)
Il s'agit, ni plus ni moins, de tenter de décrire la manière universelle dont l'homme se pense et conçoit sa relation au monde et à la société.
Arrivée dans un village délaissé par les chefs traditionnels, elle est accueillie par des femmes qui l'emmènent dans un bois sacré où est dressé l'autel de la pluie, à l'abandon. Les femmes lui font comprendre que la sécheresse sévit depuis longtemps et déplorent l'absence de culte. Françoise prend des photos et dessine l'autel sur son carnet. La pire heure arrive -midi- et chacun s'assoit et s'assoupit sous un fromager. Une heure plus tard le ciel s'assombrit, de gros nuages noirs crèvent et arrosent le village. Une délégation de femmes vient immédiatement la voir pour la remercier. Elles établissent un rapport de cause à effet entre l'attention qu'a prêtée Françoise, le matin même, à l'autel de la pluie et l'orage, et elles sont fières que ce soit un étranger -en l'occurence une étrangère- qui montrent aux Samo qu'ils font fausse route en abandonnant leurs traditions. Elles demandent de parler à leurs maris pour les convaincre de pratiquer. Françoise refuse, mais les femmes du village continuent à la considérer comme la faiseuse de pluie.
La véritable libération aura lieu quand les hommes voudront, comme les femmes, avoir accès à une contraception. On est loin du compte.
Son audition au Sénat, le 5 février 2013, fut remarquée et remarquable : "L'humanité a fait, en optant pour l'hétérosexualité, un choix politiquement utile, politiquement correct. Toutefois,les conditions ont changé depuis le paléolithique. Avec sept milliards d'humains, il n'est plus nécessaire de fonder la paix sur l'échange des femmes et le mariage hétérosexué."
A partir de toutes ces informations, Françoise pose des questions sur le pouvoir accordé à chaque sexe. Les Samo, par exemple, pensent que le père donne le sang à l'enfant et la mère la chair et les os. Comment expliquer cela ? Par l'importance et le primat donnés au sang dans la civilisation samo.
De cette différence des sexes Françoise fait découler plusieurs interrogations : pourquoi cette différence- qui par nature n'est pas une inégalité- aboutit-elle à un système de domination d'un seul sexe, le sexe masculin ? Sur quelles chaînes symboliques et sensibles, l'espèce humaine s'est-elle appuyée pour se mettre sous le joug masculin ? Françoise pose des questions qui peuvent sembler naïves.
Partout existe une même armature conceptuelle malgré la différence des contenus.
Françoise n'est pas une femme samo, mais elle est une femme, et elle fut la première à enquêter, dès son arrivée sur le terrain, sur l'inégalité qui règne entre les femmes et les hommes, à la fois dans leur vie quotidienne et dans leur statut symbolique.
Elle n'est ni essentialiste ni culturaliste, mais universaliste. Outre une méthode, l'universalisme est une philosophie du sens global à donner au monde. Françoise veut débusquer le constant sous l'éphémère pour tenter de dégager des structures, partir à la recherche d'éléments immuables et essentiels, prendre en charge les différences pour identifier les ressemblances, dans la lignée de Claude Lévi-Strauss, lui qui a fait acquérir à l'anthropologie ses lettres de noblesse scientifique et l'a définitivement arrachée au statut incertain, quoique romanesque, d'exploration des cultures lointaines.
Celle qui fut reconnue tardivement par le grand public grâce à son livre antidépresseur Le sel de la vie fut aussi une voyageuse, une grande amoureuse, une intellectuelle hors pair, qui élabora à partir de ses observations des théories encore utiles aujourd'hui pour combattre toute forme de domination. Engagée politiquement, elle l'était sans barguigner. Elle avait le cœur à gauche, à gauche toute. Elle s'est battue pour la décolonisation, contre toute forme de racisme, pour la reconnaissance de l'égalité femme-homme.