Cet ouvrage est un témoignage. Il ne faut pas en attendre autre chose. Il n'a pas de visée thérapeutique si ce n'est pour l'auteure elle-même. Ce n'est pas un ouvrage scientifique. Il s'agit simplement d'une personne qui raconte ce qu'elle a vécu. Ceci étant dit, le livre de Justine n'a certes pas de visée thérapeutique mais il m'a fait un bien fou en tant que personne qui vit dans sa chair et dans son âme les affres des troubles du comportement alimentaire. Il n'y a aucun mot qui puisse exprimer pleinement ce qu'on vit quand on souffre de ces maladies mais Justine parvient à s'en approcher, elle pose des mots, incomplets certes, mais si sincères, si intimes… Entre ce texte et moi, lectrice malade, s'est instauré un lien puissant et délicat à la fois, un sentiment de sororité, la conviction que Justine et moi nous comprenons, que nous ne sommes pas seules. Bien sûr, chaque malade vit différemment sa pathologie et celle-ci prend des formes différentes selon les individus mais il y a tout de même beaucoup de traits communs, des souffrances partagées, des peurs et des doutes que seules les personnes malades peuvent connaitre. Je pense que cette lecture peut être bénéfique également aux familles de malades et même aux soignants. En effet, les TCA, et tout particulièrement l'anorexie, malgré toutes les études menées, conservent une part de mystère insoluble, ces maladies portent en elles un côté contre-nature absurde (renoncer à satisfaire un besoin primaire est en soi absurde et pourtant…) et même les spécialistes peinent encore à les expliquer et à les traiter. du coup, ce genre de témoignage ne peut que les aider à essayer de comprendre, de dessiner les contours de ces maladies aberrantes et puissantes et ainsi être en mesure de mieux aider leurs patients.
Comme chaque témoignage sur ce sujet, le livre de Justine m'a rappelée que je n'étais pas seule. L'anorexie, bien que très médiatisée (et pas de bonne façon), est une maladie rare, souvent les malades se sentent isolés et incompris. Avec ces quelques pages, Justine dit « tu n'es pas seule, je te comprends, je sais ». Et ça fait du bien. Ce type de témoignage a aussi pour qualité de donner du courage pour continuer de lutter, non pas forcément pour guérir, mais pour vivre. Ce livre incite à se battre pour vivre parce que Justine est inspirante par sa volonté d'essayer de lutter, de vouloir s'en sortir. Mais je ne dirai pas que ce livre incite à se battre pour guérir. En tout cas, pas moi. Après des décennies de cohabitation avec les TCA, entre périodes où la maladie s'exprime pleinement et d'autres où elle se met en sommeil, je n'y crois plus vraiment, je doute qu'on se sorte réellement de ces pathologies. Ces maladies ont ceci de sournois et de cruel qu'on les hait et qu'on les aime en même temps. Comme le disait
Nicole Desportes dans son remarquable témoignage « c'est une des seules maladies dont on garde une nostalgie ». Lorsque je termine la lecture de ce genre de témoignage, j'ai toujours la même question qui vient me chatouiller l'esprit. Ces ouvrages, leurs auteurs les écrivent quasiment toujours lorsqu'ils sont sur le chemin de la guérison, ou bien lorsqu'ils se pensent guéris. Mais, moi aussi, dans le passé, lorsque la maladie se mettait en sommeil, j'ai cru que c'était fini jusqu'à ce qu'elle se réveille. Alors, je ne peux m'empêcher de me poser cette petite question : et après ? Est-ce que Justine (et les autres) a rechuté ? Est-ce qu'elle a encore parfois ce serpent (Justine visualise sa maladie comme un serpent, moi c'est une pieuvre) dans sa tête qui vient lui susurrer de mauvaises pensées ? Repense-t-elle parfois avec nostalgie à sa maladie ? Justine, qu'es-tu devenue ?