Mieux vaut le vin que la vue
Le vin qui trop cher m’est vendu,
M’a la force des yeux ravie,
Pour autant qu’il m’est défendu,
Dont tous les jours m’en croît l’envie.
Mais puisque lui seul est ma vie,
Malgré les fortunes senestres,
Les yeux ne seront point les maistres
Sur tout le corps, car, par raison,
J’aime mieux perdre les fenestres
Que perdre toute la maison.
Clément Marot
« «Ô sage gardien de nos lois, dit-il, je t’ai fait envoyer chercher, car il me tarde de connaître la meilleure manière de pisser. Convient-il de s’accroupir et de relever soigneusement la robe, ainsi que le prescrit notre religion ? Convient-il de rester debout comme ont coutume de le faire les méchants impurs ? Ou convient-il de se dévêtir complètement et de pisser sur ses propres amis comme ont coutume de le faire deux mangeurs de hachisch de ma connaissance ? » »
Les mille et une nuits
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« Frères, vous pullulez, vous vous entroupez, vous vous encroûtez. Bientôt les caves seront à sec et que deviendrons-nous ? Les uns crèveront lamentablement, les autres se mettront à boire d’infâmes potions chimiques. On verra des hommes s’entretuer pour une goutte de teinture d’iode. On verra des femmes se prostituer pour une bouteille d’eau de Javel. On verra des mères distiller leurs enfants pour en extraire des liqueurs innommables. Cela durera sept années. Pendant les sept années suivantes, on boira du sang. D’abord le sang des cadavres pendant un an. Puis le sang des malades, pendant deux ans. Puis chacun boira son propre sang, pendant quatre ans. Pendant les sept années suivantes, on ne boira que des larmes et les enfants inventeront des machines à faire pleurer leurs parents pour se désaltérer. Alors il n’y aura plus rien à boire et chacun criera à son dieu : « rends-moi mes vignes ! » et chaque dieu répondra : « rends-moi mon soleil ! », mais il n’y aura plus de soleils, ni de vignes, et plus moyen de s’entendre.
-René Daumal, La grande beuverie-
[…] nous maintenons ici que non pas rire, mais boire est le propre de l’homme, je ne dis pas boire simplement et absolument, car aussi bien les bêtes boivent, je dis boire du vin bon et frais. Notez, amis, que de vin on devient divin, il n’y a point d’argument si sûr, ni un art de divination moins fallace.
-Pantagruel, Rabelais-
Souvenez-vous que tout ce qui peut être obtenu chimiquement peut l’être autrement. Vous n’avez pas besoin de la drogue pour partir mais les drogues peuvent servir de raccourcis utiles à certains stades de l’entraînement.
-William S. Burroughs, The Job-
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L’herbe du diable n’est qu’un chemin parmi des millions d’autres. N’importe quoi peut servir de chemin. C’est pourquoi il ne faut jamais oublier qu’un chemin est seulement un chemin ; si tu sens que tu ne dois pas le suivre, alors sous aucun prétexte ne continue d’y avancer. Pour obtenir une telle lucidité d’esprit il faut discipliner sa vie. Alors, seulement, tu pourras comprendre que tout chemin n’est chemin auquel tu peux renoncer si ton cœur le désire sans faire affront à personne, ni à toi ni aux autres. Mais ta décision de poursuivre sur un chemin ou de l’abandonner doit être libre de peur ou d’ambition. Je te préviens, considère chaque chemin en toute liberté et avec une grande attention. […] Puis pose-toi, et à toi seul, une question : une question que seul un vieil homme peut se poser. […] « ce chemin a-t-il un cœur ? » Tous les chemins sont les mêmes, ils ne conduisent nulle part. il y a des chemins qui traversent la forêt, d’autres qui vont dans la forêt. […] Ce chemin a-t-il un cœur ? Si oui, le chemin est bon, sinon il est inutile. Ces deux chemins ne conduisent nulle part, mais l’un d’entre eux a un cœur et l’autre n’en a pas. L’un est propice à un merveilleux voyage ; aussi longtemps que tu le suis, tu ne fais qu’un avec lui. L’autre te fera maudire ta vie. L’un te rend fort, l’autre t’affaiblit.
-Carlos Castaneda, L’herbe du diable et la petite fumée-
Ceux qui prennent des drogues, c’est qu’ils ont en eux un manque, génital et prédestiné, -ou que poètes de leur moi en vie, ils ont senti avant les autres hommes ce qui manque depuis toujours à la vie.
-Antonin Artaud, Lettres de Rodes-
Tremblements du corps ou de l’âme, il n’existe pas de sismographe humain qui permette à qui me regarde d’arriver à une évaluation de ma douleur plus précise, que celle, foudroyante, de mon esprit !
-Antonin Artaud, Ombilic des limbes-
« Cette clarté venait par degré et de même cédait par degré ; mais, tandis que l’ascension glorieuse et confortante procédait de marche en marche, la descente me portait de palier en palier, et je retrouvais au bas de chaque chute le poids dont j’avais été dégagé, je le retrouvais plus accablant de ce que je l’avais bafoué de si haut. »
Luc Dietrich, L’apprentissage de la ville
Un étranger s’étonnera sans doute que l’on puisse faire à ce propos tant de bruit pour rien. « Quelle tempête dans une tasse de thé ! » dira-t-il. Mais si l’on considère combien petite est, après tout, la coupe de la joie humaine, combien vite elle déborde de larmes, combien facilement, dans notre soif inextinguible d’infini, nous la vidons jusqu’à la lie, l’on ne nous blâmera pas de faire tant de cas d’une tasse de thé. L’humanité a fait pis. Nous avons sacrifié trop librement au culte de Bacchus ; nous avons même transfiguré l’image ensanglantée de Mars. Pourquoi ne nous consacrerions-nous pas à la Reine des Camélias et ne nous abandonnerions-nous pas au chaud courant de sympathie qui descend de ses autels ? Dans le liquide ambré qui emplit la tasse de porcelaine ivoirine, l’initié peut goûter l’exquise réserve de Confucius, le piquant de Laotsé, et l’arôme éthéré de Cakyamouni lui-même.
-Okura Kakuzo, Le livre du thé-