Rupi Kaur

Ma voix est le fruit de la collision entre deux mondes,quelle honte y a-t-il à ce que l'anglais et ma langue maternelle aient fait l'amour
Ma voix est faite des mots de son père et de l'accent de sa mère
Qu'importe que pays ma bouche porte deux mondes

J'ai beaucoup trop survécu pour partir tranquillement
Qu'une météorite m'emporte
Appelle le tonnerre en renfort
Ma mort sera grandiose
La terre va craquer
Le soleil va s'autodévorer le jour de mon départ

Je ne suis pas un mannequin dans la vitrine de ta boutique favorite
Tu ne peux pas m'habiller ni me jeter quand je suis hors d'usage
Tu n'es pas un cannibale tes actes ne sont pas ma responsabilité c'est à toi de te maîtriser

En rentrant chez moi je dis à ma mère les hommes dehors sont affamés
elle me dit que je ne dois pas m'habiller en exposant mes seins que les garçons vont avoir faim s'ils voient des fruits, que je dois rester assise les cuisses fermées comme les femmes doivent le faire
Sinon les hommes vont s'énerver et se battre
Elle me dit que je peux éviter tous ces problèmes si j'apprends simplement à me comporter en lady mais le problème
C'est que c'est absurde
Je ne peux pas me cacher à moi-même
Je dois convaincre la moitié de la population mondiale que mon corps n'est pas leur lit

dis-leur que j'étais l'endroit le plus chaud que tu connaisses et que tu m'as refroidie

Je me suis décorée comme les murs de mon chez-moi l'étaient avec des cadres des étagères de livres des photos
j'ai accroché un collier autour de mon cou mis des boucles d'oreilles appliqué du rouge à lèvres comme de la peinture ramené mes cheveux en arrière

les abeilles vinrent pour le miel
les fleurs furent prises de petits rires nerveux en se déshabillant pour s'offrir
le soleil sourit

Je distingue encore nos casques de chantier posés exactement là où nous les avons laissés
les cônes de signalisation ne sachant trop quoi signaler
les bulldozers scrutant l'horizon en attente de notre retour
les planches de bois ankylosées dans leurs boîtes mourant d'envie d'être clouées mais aucun de nous deux ne revient pour leur dire que c'est terminé
Avec le temps,les briques vont se fatiguer d'attendre et s'effondrer
les grues vont plonger leur tête dans le chagrin
les pelleteuses vont rouiller penses-tu que des fleurs vont pousser ici si toi et moi n'y sommes plus
Construisant du neuf
avec quelqu'un d'autre

tu dois arrêter de
chercher pourquoi
à un moment donné
tu ne dois plus t’en occuper

le viol va
te déchirer
en deux

mais il
ne va pas
t’achever

je ne sais pas pourquoi
je me suis fendue en deux
pour les autres
sachant que
me recoudre
fait si mal
après 

si la douleur vient
le bonheur va venir aussi

- sois patiente

tombe
amoureuse
de ta solitude

les gens s'en vont
mais la façon
dont ils sont partis
reste

ta voix
suffit
à m'arracher
des larmes

il murmure seulement je t'aime
en glissant ses mains
vers la ceinture
de ton pantalon

c'est là que tu dois
comprendre la différence
entre vouloir et avoir besoin de
tu peux vouloir ce garçon
mais tu n'en as pas besoin

rien n 'est plus sécurisant
que le son de ton être
qui lit pour moi à haute voix

~ le petit ami parfait

quand ma mère était enceinte
de son deuxième enfant j'avais quatre ans
je pointai mon doigt vers son ventre gonflé
troublée l'air interrogateur
ma mère était devenue si ronde en si peu de temps
mon père me prit dans ses bras tronc d'arbre et
me dit que le plus proche de dieu sur cette terre
est le corps d'une femme c'est l'origine de la vie et
cet adulte me disant quelque chose
d'aussi puissant alors quej'étais si jeune
m'a fait voir l'univers entier
reposant aux pieds de ma mère

essayer de me convaincre
que j'ai le droit
de prendre ma place c'est comme écrire
de la main gauche alors que je suis née
pour me servir de la droite

- l'idée de me faire toute petite est héréditaire

c'est ton sang
dans mes veines
dis-moi comment je suis
censée oublier