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Citations de Roland Dorgelès (179)


Qui aurait pu se croire à Paris ? De petites haies villageoises séparaient les enclos et chaque locataire agrémentait son jardin à sa guise avec une tonnelle, des touffes d’iris, une cascade miniature où l’eau ne coulait pas.
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Le château des brouillards
On accédait à la propriété par une rampe pavée que barrait une grille et ce grand parc, qui dominait la rue Girardon de plusieurs mètres avait l’air retranché derrière une contrescarpe. Les acacias, les vernis du Japon et les marronniers entremêlaient si bien leurs branches que les maisons disparaissaient dans la verdure ; à gauche, le château proprement dit, vieille demeure du XVIIIe siècle, restée grande dame sous sa coiffe d’ardoise, à droite, une rangée de pavillons modestes qu’on louait par étages. Renoir avait eu là son atelier, Léon Bloy son logement, et l’on contait que Gérard de Nerval aimait y venir grappiller du raisin.
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M. Martial Gouttenoir allait chez le Mage pour acheter des tableaux. Elie Grinberg n’en vendait pas, c’est certain, pas plus que le père de M. Jourdain ne vendait d’étoffe mais aux fins de mois il en cédait à ses relations pour le l’argent. Le vieil amateur s’était ainsi offert à des prix raisonnables des Picasso, des Modigliani, des Utrillo, des Van Dongen, tous ces produits de Montmartre que dédaignaient les grands marchands.
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Il avait un tel accent de faubourg que même s’il avait récité du Racine on aurait cru écouter de l’argot. Mais l’auditoire ne se montrait pas si difficile. Tout ce qui était violent leur paraissait beau et ceux qui tout à l’heure conspuait les anarchistes étaient les premiers à crier bravo.
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Un joli soleil pâle de la Saint-Martin. Sur le ciel d’un bleu tendre, les nuages étaient pareils à des flocons de shrapnells.
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Dieu ! que nous avons changé !...Les maigres sont maintenant gras, les hardis timorés, les pauvres sont devenus riches et les riches n'ont plus le sou...On reste même étonné devant la courbe fantaisiste de certaines existences. Les uns, qu'on imaginait triomphant, ont sombré dans l'oubli, tandis que d'autres, dont on n'attendait rien, sont devenus célèbres. Pourquoi ?...On ne sait pas...Le talent, c'est juste le travail obstiné. Mais aussi le hasard, les circonstances, la chance. Il semble que la vie s'est amusée à jeter des chausse-trapes en travers de certaines vocations. Que de faillites injustes, que d'avortements ! J'ai retrouvé un sculpteur de talent réduit à fabriquer des accessoires pour les Folies-Bergère, un rimeur devenu photographe, un peintre d'avenir pêcheur à la ligne, un humoriste patron d'auberge. Ce qui m'a consolé, c'est qu'aucun ne se plaignait.
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Ces souvenirs me reviennent pêle-mêle en tapotant sur le coin de ma table l'appel aux morts. Poulbot, Depaquit, Delaw, Laborde, Falké : de qui encore ai-je parlé ? Et combien de temps ces noms évoqueront-ils une présence humaine, une oeuvre, un visage ? De l'autre côté du fossé des deux guerres, les événements de tout un siècle se confondent et, aux yeux des jeunes gens, nous rejoignons les héros de Murger, les bohèmes de Nerval, les chicards de Gavarni. Ce qui, pour nous, est hier, pour eux est le temps jadis. Jamais je ne l'ai plus cruellement ressenti qu'en recevant, certain jour, la visite d'un jeune artiste qui se documentait sur la Butte d'autrefois pour illustrer l'un de mes livres. Sans se douter qu'il me vexait terriblement, car j'ai horreur qu'on ajoute à mon âge, il me demande si j'avais beaucoup fréquenté le Chat Noir - fermé l'année de ma première communion -, si j'avais dansé avec la Goulue, fréquenté les "maisons" avec Toulouse-lautrec, puis, mettant le comble à ses gentillesses :

- De votre temps, questionna-t-il, y avait-il de l'herbe dans les rues ?

Sur le moment, j'en ai perdu le souffle. Assurément, le cher garçon supposait que "de mon temps", les filles portaient la crinoline, les garçons le pantalon à sous-pieds, et que nous dansions le rigodon, le jour de la vendange, sur l'aire du Moulin de la Galette.

- De l'herbe, allais-je me récrier. De l'her...

Mais la protestation m'est restée dans la gorge. Je venais, dans un éclair, de revoir le Montmartre de ma jeunesse, et je me rappelais soudain qu'il y avait non seulement de l'herbe entre les pavés, mais de la menthe le long des talus, du mouron, de l'anis, du fraisier sauvage, du laceron au suc laiteux, du pissenlit pour les lapins. Mieux encore : on fauchait le foin devant le Sacré-Coeur, et nous aurions pu, ces soirs-là danser la bourrée au Lapin Agile, où Alathème jouait de la vielle.

Comment ne pas le regretter, ce village sans pareil ? Tout se transfigurait pour enchanter nos jeunes yeux. La nuit, dans les ruelles du maquis où les Italiens chantaient des barcaroles, nous pouvions nous croire en Sicile, et nous rêvions d'aventures lointaines en regardant scintiller les fanaux des frégates sur la mer brumeuse de Saint-Ouen. C'est pour tous ces souvenirs que je continue d'aimer mon cher quartier. On a nivelé les rues, coupé les arbres, abattu nos bicoques, pourtant j'y retourne quand même, et lorsque je m'assieds sous l'acacia de la rue des Saules, il me semble que rien n'a changé.
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il ne voulait pas se battre, c'était tout, et la peur lui donnait toutes les audaces.
" C'est la guerre...Je vois la guerre" ...Il ne ressentait rien, qu'un peu de surprise....Et c'était bien elle pourtant : une rude et triste veille plutôt qu'une bataille.
Des choses noires barraient la route : deux chevaux aux longues pattes raides, une voiture culbutée et des cadavres, dont on devinait la forme douloureuse sous la toile de tente. Une odeur fade et chaude montait de cet amas.

un paquet de gosses monta....un fusant jaillit,,,Un corps, haché éclaboussa la sape.

Ils s'acharnèrent encore, escouade sur escouade, ne sachant plus, hagards. Mais à chaque effort, le feu les rejetait d'un coup, culbutés dans leur trou....

A chaque coup, le coeur décroché fait un bond ; la tête, les entrailles, tout saute.
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Ce n'est pas Hérodote qui a découvert l'Egypte, ni Diodore, ni Marc Aurèle, ni Strabon. C'est moi !
Planté à un carrefour, en plein remous de la rue Fouad, je contemple un agent en tarbouch, cacheté de rouge comme une bouteille, qui, pivotant sur place et raidissant les bras, distribue les autos avec des gestes mécaniques d'appareil à jetons.

(incipit)
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Les fleurs, à cette époque de l'année, étaient déjà rares; pourtant on en avait trouvé pour décorer tous les fusils du renfort et, la clique en tête, entre deux haies muettes de curieux, le bataillon, fleuri comme un grand cimetière, avait traversé la ville à la débandade. (incipit).
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Demachy s'arrêta aux premières tombes. Des cadavres avaient été amenés depuis la veille, et attendaient leur fosse, couchés entre les croix. L'un était enveloppé dans une toile de tente, linceul rigide que le sang durcissait encore. Les autres étaient restés comme ils s'étaient battus, la capote terreuse, le pantalon boueux, et sans rien pour cacher leurs visages bouffis ou cireux, leurs pauvres faces violacées, qu'on eût dit barbouillées avec la lie de vin. La tête d'un sergent, pourtant, était voilée. On l'avait enfoncée dans une musette, comme dans une cagoule, et l'on devinait l'horrible blessure, sous ce suaire de sang caillé. Il portait une alliance au doigt. Le bras d'un petit chasseur s'était détendu et semblait barrer l'allée, les ongles enfoncés dans la terre molle. S'étaient-ils traînés depuis les tranchées, pour venir mourir là ?
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...elles prenaient des mines importantes, se pavanaient dans la grand’rue, tortillaient de la croupe comme un paon fait la roue et acceptaient tous les hommages comme de la petite monnaie, convaincues que leurs charmes n’en méritaient pas moins.
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Personne ne pense à la guerre. Pas de grands mots :gloire, victoire, evanche… On dit simplement : « On va se battre » ; et pas un ne comprend tout ce que cela veut dire.
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Si, en rapportant ces notes de voyage, j'ai pu faire comprendre à certains Français que nous ne trouverons pas le salut dans la contrainte et dans la haine, mais dans la concorde et la liberté, je ne regretterai rien de ma peine. Ni les menaces entendues. Ni les injures supportées.
Dans tous les pays que j'ai traversés, des multitudes asservies tournent vers nous des yeux d'espoir. Ne les décevons pas. C'est I'éternelle mission de la France de leur montrer le vrai chemin.
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Il faut faire un fameux effort pour se libérer de ses routines. J'essaie. Je n'y parviens pas. Ainsi, je me demande s'il ne vaut pas mieux supporter un concierge, même désagréable, comme dans les "pays bourgeois", que d'être surveillé par ces kommandants d'immeubles, choisis par le Parti et affiliés à la police.
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Cette tranchée toute neuve était ourlée de terre fraiche, comme, une fosse commune. C'était peut-être pour gagner du temps qu'on nous y avait mis vivants.
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« Oui, je sais bien, c’est la guerre. Alors, tout est permis, le marchand peut voler, la femme peut se laisser trousser, le Conseil de guerre peut faire fusiller de pauvres bougres. Rien ne compte plus. Allons-y, c’est la guerre. C’est avec ce mot-là que s’excusent toutes les lâchetés et tous les crimes. L’arrière qui godaille nous le jette à la figure quand nous serrons les poings. Il explique tout, c’est la défense des mufles.
« Les vainqueurs rentreront sur des béquilles, les foyers seront détruits, les bonheurs gâches. Qu’est-ce que ça fait, on aura bien rigolé tout de même : c’est la guerre… »
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[Jacques a retrouvé dans le secrétaire de sa femme les lettres que lui envoyait André, son premier époux, tué en ’17. Dans ces lignes, il se doute qu'elle ne l'aime plus, il se doute qu'elle qu'elle le trompe, et il sent sa fin proche.]

« Je t’en prie, s’il m’arrive malheur, n’abandonne pas maman… Elle n’aura plus personne au monde, promets-le-moi, ne la laisse pas. C’est trop affreux pour ceux qui se battent de penser que l’obus qui les tuera tuera du même coup tous ceux qu’ils aiment. […]
« Ne m’oublie pas non plus trop vite, ma grande. Il me semble que c’est surtout après qu’on doit avoir besoin d’amour. Les vivants ont les mots, les caresses : qu’ils laissent au moins aux morts le souvenir. »
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- Ah ! quelle saleté que la guerre ! murmura Jacques, remué jusqu'aux entrailles. Et dire que nous y avons cru, que nous avons acclamé l'égorgement de ces pauvres bougres !
Didier Roger, lui, était resté très calme.
- Oui, ce n'était pas très joli, répliqua-t-il de sa même voix voilée. Mais quoi, si les hommes exécraient tellement la guerre, il y a longtemps que le sang ne coulerait plus. On fait combattre les taureaux, pas les moutons.
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Quand le bruit se répandit dans Montmartre que la pièce de Paul-Gérard Clair allait être jouée sur les boulevards, ce fut une telle stupéfaction que pas un de nous ne songea à le féliciter.
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