Citations de Raymond Chandler (458)
C'était une blonde. Une blonde pour laquelle un évêque serait prêt à donner un grand coup de pied dans un vitrail.
Mes talons de caoutchouc dérapèrent sur le trottoir quand je tournai dans l’entrée étroite du Fulwider Building. Une lampe unique brûlait au loin, derrière un ascenseur ouvert, autrefois doré. Un crachoir terni, et qu’on devait manquer souvent, se dressait sur un tapis de caoutchouc mâchuré. […] Des numéros avec noms et des numéros sans noms. Des tas d’appartements libres, ou alors des tas de locataires qui voulaient rester anonymes. Des dentistes sans douleur, des agences de détectives à la manque, des petites affaires malades qui avaient rampé jusqu’ici pour y mourir, des écoles par correspondance qui devaient vous apprendre comment devenir employé de chemin de fer, technicien radio ou scénariste – si les inspecteurs des postes ne leur tombaient pas sur le râble. Un bâtiment moche. Un bâtiment dans lequel l’odeur des mégots de cigare devait être la plus propre de celles qu’on y respirait.
Qu'est-ce que ça peut faire, où on vous met quand vous êtes mort? Dans un puisard dégueulasse ou dans un mausolée de marbre au sommet d'une grande colline? Vous êtes mort, vous dormez du grand sommeil... vous vous en foutez, de ces choses-là... le pétrole, l'eau, c'est de l'air et du vent pour vous... Vous dormez, vous dormez du grand sommeil, tant pis si vous avez eu une mort tellement moche... peu importe où vous êtes tombé...
Les morts sont plus lourds que les cœurs brisés.
Un pistolet reposait à terre à côté de sa main droite et un trou rouge aux bords noircis lui ponctuait le milieu du front. […]
Je restais planté là, vide comme un œuf gobé, regardant le sang […] s’étirer en petits globules piriformes (1) à la pointe de son menton, tomber ensuite avec lenteur, presque nonchalance, pour aller grossir la large tâche cramoisie qui déparait la blancheur de son polo.
J’ai omis volontairement le nom de la victime indiqué après le mot sang pour préserver le suspense de cette nouvelle. Cette citation est à la fois d’une beauté absolue et d’une cruauté incroyable.
(1) en forme de poire.
Je lui tire mon chapeau. Encore que tout ce qu'elle mérite qu'on lui tire, c'est un bon coup de fusil, mais je suis trop poli pour me le permettre.
- La plupart des hommes ne sont que des porcs. D'ailleurs, entre nous, le monde où nous vivons est assez peu ragoûtant.
- L'argent doit l'embellir.
- C'est ce qu'on croit, quand on en a pas toujours eu. En réalité, ça ne fait que créer de nouveaux tracas. Ce qui vous aide à oublier les anciens ajouta-t-elle avec un sourire ambigu.
Je m'assis près d'elle sur le canapé de cuir havane.
- Est-ce que vous n'êtes pas un peu entreprenant ? fit-elle, d'une voix paisible.
Je ne répondis pas.
- Vous pratiquez couramment ce genre d'exercice ? reprit-elle avec un long regard en coin.
- Rarement. A mes moments perdus, je suis moine tibétain.
-Je suis un flic, dit-il. Un flic tout ce qu’il y a d’ordinaire. Raisonnablement honnête. Aussi honnête qu’on peut l’espérer d’un homme vivant dans un monde où ce n’est plus de mise. C’est la principale raison pour lesquelles je vous ai demandé de venir ce matin. Je voudrais que vous en soyez convaincu. Etant un flic, je préfère que la loi triomphe. J’aimerais voir de belles canailles bien habillées comme Eddie Mars s’abîmer les ongles dans des carrières de cailloux à Folsom, côte à côte avec les petits minables des faubourgs sous-alimentés qui se sont fait poirer à leur première casse et n’ont jamais eu de chance depuis. C’est ça que je voudrais. Vous et moi, nous avons vécu assez longtemps pour savoir que jamais je ne verrai ce jour-là. Ni dans cette ville, ni dans une ville moitié moins grande, ni dans le moindre recoin des florissants, vastes et verdoyants Etats-Unis d’Amérique. Nous ne dirigeons pas notre pays de cette façon-là.
Sous un brillant soleil d'automne, je remontai dans ma voiture. J'étais le gentil mec qui tâchait de se débrouiller pour s'en tirer. Oui. J'étais un gars comme ça. J'étais content de me connaître. J'étais le genre de type qui arrachait à une vieille épave à moitié pourrie ses plus chers secrets pour gagner un pari de dix dollars.
Elle conduisait à la perfection. Quand une femme sait vraiment conduire, il n'y a absolument rien à lui reprocher.
Il y a des jours comme ça, où on ne rencontre que des abrutis. On commence à se regarder soi-même dans la glace et à douter de soi.
"O.K., Marlowe, dis-je entre mes dents, tu es un coriace. Six pieds d'acier trempé. Quatre-vingt-quinze kilos à poil et débarbouillé, tout en muscles et pas du toc. Capable d'encaisser. Tu t'es fait sonner deux fois, étrangler une, écrabouiller la gueule à coups de crosse de revolver... enfin, de quoi faire tourner n'importe qui en bourrique. Après ça, on t'a filé assez de came dans la peau pour que tu te prennes pour une paire de souris valseuses. Et après? En voilà une histoire ! C'est les petits ennuis du métier, du tout-venant."
La gueule de bois, ça ne s’attrape pas seulement en picolant. C’était à cause des femmes que j’avais chopé la mienne. Les femmes m’avaient rendu malade.
Le bon sens, c'est le petit bonhomme en complet gris qui ne fait jamais une erreur d'addition : seulement voilà - c'est toujours l'argent des autres qu'il additionne.
The French have a phrase for it. The bastards have a phrase for everything and they are always right. To say goodbye is to die a little.
- T'es drôlement verni, Marlowe. Deux fois de suite, tu t'en tires de justesse. Tu finiras par tourner mal. Tu t'es échiné pour ces gens-là et tu n'en as pas tiré un sou. Tu t'es aussi échiné pour un nommé Lennox, si je ne me trompe et ça ne t'a rien rapporté non plus. Comment fais-tu pour gagner ton bifteck ? T'as fait assez d'économies pour vivre de tes rentes ?
Je me levai et me plantai en face de lui.
- Je suis un romantique, Bernie. J'entends des voix qui pleurent la nuit, et je ne peux pas m'empêcher d'aller voir ce qui se passe.
C'est une femme charmante, entre deux âges, avec un visage qui ressemble à un paquet de merde, et si elle s'est lavée les cheveux depuis la réélection de Coolidge*, je veux bien bouffer mon pneu de secours et la roue avec.
* Coolidge a été réélu en 1924, le roman a été publié en 1940.
Tiens-toi tranquille et retiens ta respiration. Retiens-la jusqu’à ce que tu ne puisses plus, et à ce moment-là, dis-toi qu’il faut absolument que tu respires, que tu as la figure toute noire, que tes yeux vont te tomber des joues… et que tu vas respirer maintenant, mais que tu es ficelé sur le fauteuil dans la jolie petite chambre à gaz de Saint-Quentin ; et quand tu respireras cet air que tu luttes de toutes tes forces pour ne pas avaler, ça ne sera pas de l’air qui viendra, mais du cyanogène… Et c’est ça qu’on appelle une exécution humanitaire dans notre État, maintenant.
Le dîner à 85 cents avait un goût de sac postal hors d'usage et me fut servi par un garçon qui ressemblait à Robert Macaire, à Jack l'éventreur et à Jojo-les-Grandes-Lattes, avec un soupçon de crème pâtissière.