Keiichirô Hirano

La mort colore arbitrairement nos vies. Nous disposons de plusieurs pots de peintures pour donner des couleurs à nos vies. Nous les peignons soigneusement de teintes successives. À la fin, il arrive qu'un pot bascule et recouvre tout d'une seule couleur. Mais c'est une erreur. Dans mon cas c'était une abnégation dont je n'avais même pas conscience. Dans votre cas, un suicide. Mais qu'est-ce de plus que l'un des nombreux actes accomplis par un homme au cours d'une vie?

Les êtres négatifs et ceux qui ont un regard positif sur la vie sont des semblables, ils vivent dans le même monde. Mais ceux qui tentent de vivre éprouvent une aversion naturelle envers ceux qui méprisent les autres humains et la valeur de la vie. C'est pour se protéger. Il est absolument insupportable de vivre une vie sans valeur dans un monde sans valeur. C'est quelque chose de terrifiant.

On tourne en rond. Si le fait de vivre n’a en soi aucune valeur, quel sens cela a-t-il d’avoir le courage de vivre ? Si les humains n’étaient pas dotés de cette chose inutile qu’on appelle la conscience, on aurait pas eu besoin d’inventer la notion de « bonheur ». Tout le monde aurait continué à vivre sans rien dire jusqu’au moment de mourir, par hasard ou par nécessité.

La société ne pardonne pas à ceux qui ont réussi à panser leurs blessures intérieures. Vous seriez surpris par la malveillance des gens. Ils sont persuadés que ça doit suppurer, suppurer encore, que la douleur doit continuer la vie durant. Ils trouvent charmant de se comporter comme si tout allait bien.

Quand quelqu’un meurt, il laisse un vide. Plus ou moins grand. Mais on ne peut pas laisser ce trou ouvert infiniment. Alors chacun fait son possible pour le combler. Si on ne le fait pas, on finit par trébucher et tomber dedans…

Même quand il sombrait enfin dans le sommeil, il se réveillait aussitôt en sursaut, avec une sensation d’étouffement. Ensuite, il avait beau s’efforcer de se plonger de nouveau dans le sommeil, il n’y parvenait pas, comme si une bouée le maintenait à la surface.

Les événements éphémères inscrits dans un temps qui s'écoule en ligne droite disparaissent d'instant en instant, tandis que le cycle des saisons, sans cesse répété, nous rappelle chaque fois des souvenirs anciens et nous permet de les conserver avec une fraîcheur renouvelée.

On parle de rêve, de réalité, comme de deux choses totalement distinctes. Pourtant, il me semble qu’il s’agit d’une seule et même illusion.

Pour accepter l’étrangeté de tous ces événements, il suffisait de l’attribuer à une distorsion générale de la réalité. Cela ne demandait pas le moindre effort. On y croyant, ou l’on n’y croyait pas, c’était la seule alternative. Masaki avait choisi d’y croire.

Masaki rouvrit les yeux. Par la fenêtre que le moine avait ouverte en partant, on apercevait la nouvelle lune, trait fin dessiné dans le ciel par un pinceau rapide. Sous les pâles rayons, les deux pupilles de Masaki brillaient d'une beauté transparente et délicate, tels des œufs déposés au bord de l'eau par un animal aquatique. Pareilles à de petites vagues venant lécher le rivage, ses paupières allaient et venaient par-dessus, renouvelant sans cesse leur éclat humide. Ces deux perles qui continuaient à rayonner avaient préservé toute sa beauté au visage émacié.

La jeunesse est une qualité nécessairement confinée en surface, elle ne peut de ce fait posséder nulle face cachée ; l’approfondir de l’intérieur n’est pas autre chose, en somme, qu’approfondir un volume illimité de surface, quelque profondément que procède l’osmose vers l’intérieur, le point atteint ne peut jamais qu’être pareil à tout point se trouvant en surface.

Celui dont les yeux ne voient point recevrait la lumière, celui qui n’entend point distinguerait les sons et le ladre verrait sa guérison. Si la pierre philosophale était également appelée la grande panacée, le catholicon, c’était en raison de ces vertus-là.

Les alchimistes croyaient que l’évolution de l’être se réalisait de conserve avec le développement du travail. Bien sûr, le but ultime de l’alchimie était d’obtenir la pierre philosophale et de réaliser la transmutation en or de la matière vile. Mais si les travaux exigés pour y parvenir pouvaient, détachés de leur but ultime, servir à former l’esprit, quand bien même cette quête du métal jaune relèverait d’une chimère, son rejet sans examen ne devait-il pas être considéré comme prématuré ?

Tout homme qui poursuit un objectif éprouve, plus ou moins, une fébrilité de ce genre. Mais lorsque s’y ajoutent les circonstances d’un voyage, elle peut prendre des proportions particulièrement alarmantes et sans rapport avec le but poursuivi. C’est que les aléas du voyage se conjuguent au sentiment d’appréhension engendré par l’ignorance du moment où l’objectif se trouvera réalisé, de sorte que tous deux ne cessent de s’exacerber.

La tristesse du voyage solitaire, que je n’avais pas ressentie outre mesure tout le temps que la route avait été bruissante du va-et-vient des voyageurs, m’avait saisi soudain. Sans pouvoir dire par quel cheminement j’y fus amené, je me pris bientôt à me demander, non pour chercher une réponse, mais pour m’étonner simplement, comment des hérésies telles que le manichéisme en étaient arrivées à sévir avec tant de violence au beau milieu de cette glorieuse nature du Midi de la France.

Une pensée qui aurait été pourchassée avec tout le bien-fondé philosophique qu’elle pouvait contenir ne manquerait pas de renaître, en raison même de la pertinence de ce dernier. C’est pourquoi elle a toujours ressuscité sans tarder, et qui plus est, en représentant cette fois comme parfaitement fondés jusqu’à ses éléments les plus hasardeux. C’est pour cette raison également que ces philosophies il nous les faut subordonner à notre doctrine, une fois dressé l’inventaire complet des erreurs qu’elles peuvent renfermer, sans en omettre une seule. Il ne faut surtout pas permettre que, du fait de leur exclusion, elles soient ainsi laissées à l’abandon en dehors de notre doctrine.

L’imminence du déferlement mettait la foi en péril, notre mission était de la protéger. Il fallait empêcher que cette inondation n’allât engloutir et envoyer par le fond cet ordre qui était le nôtre. Et il fallait agir tout de suite et avec promptitude. Il était clair à mes yeux que cet idéal de jadis qu’était la réconciliation de la foi et de la raison, idéal que les siècles avaient teinté des couleurs de l’archaïsme, devait être rétabli en sa vigueur première en le revêtant d’une signification nouvelle.