Encore que le discours doive s’assortir, chez ceux qui l’utilisent, de compétence et d’information, de réflexion préalable. Or je crains que pour l’instant on ne bavarde beaucoup trop et, e plus souvent, à tort et à travers. On dit n’importe quoi : il s’agit de mettre son grain de sel, à tout prix ! Jamais on ne s’est tant payé de mots, jamais il n’y a eu tant de réunions, de colloques, d’assises, de conférences à tous les niveaux, d’assemblées, de rencontres, de congrès, de tables rondes, de comités et de sous-comités, d’interviews, de déclarations, de mises au point - et jamais les choses n’ont si mal marché.
Tout le monde parle, mais personne n’écoute ; la jactance est en train d’étouffer le langage.
Il y a des expressions qui connaissent tout à coup une faveur étonnante et que, du jour au lendemain, on retrouve sur toutes les lèvres.
…
Ces vogues ne durent jamais plus d’une saison : un idiotisme chasse l’autre.
Il en est un, toutefois, qui paraît s’être implanté solidement, et c’est le « disons » dont tant de gens aujourd’hui, ont pris l’habitude d’émailler leur propos. Mise à part la réminiscence de l’anglais – le « let’s say » - je vois dans l’extraordinaire prolifération de ce tic une espèce de rencontre avec un trait de caractère profond ; et jusque dans notre verbosité endémique, cette méfiance traditionnelle, cette incapacité à nous engager à fond, à répondre carrément « oui » ou « non », à appeler un chat un chat. … « disons que …. » Sorte d’hésitation, de précaution oratoire, de restriction mentale instinctive, inconsciente, mais qui remonte loin : s’apparentant au conditionnel matois de nos ancêtres paysans (« peut-être bien que…. » « ça se pourrait que… »). Serait-ce qu’on éprouve du malaise, devant une question précise ? Grâce au « disons », vous ne vous découvrez qu’à demi et votre réponse ne peut être retenue contre vous : on n’affirme rien, on ne se porte garant de rien. Ça ne compte pas.
Il faudrait dénoncer le conformisme du non conformisme.
L’époque est donc aux comités. A la délégation fictive des responsabilités. Aussitôt que surgit un « problème », au lieu de l’examiner et de le régler sur-le-champ, on charge un « comité ad hoc » d’en étudier les aspects, de faire enquête et de formuler des recommandations. Or cela met du temps, dérange beaucoup de monde, coûte souvent fort cher et se révèle le plus souvent, à l’usage, une façon déguisée de « noyer le poisson ». En effet, quand après bien des palabres le dit comité soumet enfin son rapport, il n’est pas rare que le problème soit déjà dépassé ; qu’il ait perdu de son acuité, ou qu’il se soit résolu tout seul ; que les individus qui l’avaient soulevé aient disparu, sollicités par de nouvelles croisades. Un autre volumineux document ira s’empoussiérer dans les archives, sans que rien de concret n’ait été accompli. Mais chacun aura l’impression d’avoir abattu beaucoup de besogne – quod erat demonstrandum.
Mais qui donc soulignait –j’ai lu ça récemment- que le Français moyen, qui parle volontiers de « la grandeur de la France », ne rêve par ailleurs que d’une « bonne petite vie » tranquille, d’un « petit coin » à la campagne, d’un « petit jardin » ?
« Nous croyons, nous, que le mot liberté, s’il a quelque signification, inclut celle de penser ; et la liberté de penser implique celle de lire ; de lire tout ce que quiconque, ou qui que ce soit et à quelque époque que ce soit, a pu écrire ». (*)
C’est nier, d’emblée, la censure. Proclamer que le droit de tout lire est un droit fondamental et imprescriptible de l’homme. Les dictatures, d’ailleurs, ne s’y trompent pas : c’est immanquablement à la liberté de parole et d’information qu’elles se sont toujours attaqué en premier lieu, quand il s’agissait d’asservir une population.
(*) Herbert Hoover et Harry Truman, Le droit à la lecture.
De la qualité intrinsèque du langage dépendra, dans une large mesure, la cohérence de qui l’utilisera. La communication sera d’autant plus féconde que les interlocuteurs auront à leur disposition une langue plus évoluée, en précision comme en profondeur. Inversement, plus le langage sera rudimentaire, le vocabulaire pauvre et inchoatif, plus la pensée sera courte et les idées sommaires. Car s’il est vrai que ‘on rêve en images, on pense avec des mots.
Il faut se méfier, à juste titre, d’un certain activisme –que Jean-François Revel qualifie de « démocrature » -c’est-à-dire le noyautage de la démocratie véritable, un certain pourrissement de la participation. Non plus l’incarnation de la majorité ; au contraire, une forme insidieuse d’intimidation, pratiquée par de petits groupes de pression soi-disant « porte-parole des silencieux », mais poursuivant en réalité des menées de pouvoir personnel.
Après celle de l’air, de l’eau, du bruit, sans doute faudra-t-il songer à nous prémunir aussi de a pollution plus insidieuse encore, de l’information.
Même dépouillés de leurs insignes, il reste encore, pour distinguer entre eux les humains, le Langage. Qui, tout autant que le costume, révèle l’origine, la strate, le degré d’instruction de chacun. Voire le métier ou la profession. Pas d’imposture possible, dès que vous ouvrez la bouche !