Citations de J.M.G. Le Clézio (1830)
On ne pouvait jamais retrouver les gens quand on les avait perdus.
Ce n’est pas de la tristesse ni du découragement que je ressens, mais de la colère, de la rage. Je voudrais exercer une vengeance implacable contre ceux qui nous ont exilés. Je voudrais revenir sans qu’ils le sachent, sous un autre nom, avec un autre visage, et briser leur orgueil, faire tomber leurs demeures, leur honneur, comme Edmond Dantès.
Je n’ai que les souvenirs et les rêves. Je sais que je ne peux rien attendre en dehors de cette île. Tout ce que j’ai est ici, dans la ligne courbe du récif, la silhouette magique de Suryavati qui marche sur l’eau, la lumière de ses yeux, la fraîcheur de sa voix quand elle m’interroge sur la ville de Londres et sur Paris, son rire quand ce que je lui dis l’étonné.
J’ai besoin d’elle plus que de n’importe qui au monde. Elle est semblable à moi, elle est d’ici et de nulle part, elle appartient à cette île qui n’appartient à personne. Elle est de la Quarantaine, du rocher noir du volcan et du lagon à la mer étale. Et maintenant, je suis moi aussi entré dans son domaine.
Il y avait des livres partout, dans des cartons, sur les étagères. Je passais mon temps à lire, au hasard, des romans, des livres d'histoire, même des poésies. Je lisais Malaparte, Camus, André Gide, Voltaire, Dante, Pirandello, Julia Kristeva, Ivan Illich. Tous les mêmes. Les mêmes mots, les mêmes adjectifs. Ça n'était pas coupant. Ça ne faisait pas mal. Frantz Fanon me manquait. J'essayais d'imaginer ce qu'il aurait dit, comment il aurait parlé de la religion, son rire ironique devant de telles élucubrations. La poésie, c'était étranger. Comme si cela ne me concernait pas, ça n'était pas pour moi. En même temps, j'aimais bien collectionner les mots. Les mots, pour chanter, pour les lancer dans la chambre, les écouter rebondir, se briser en mille morceaux, ou au contraire tomber à plat sur le sol dans le genre d'un fruit blet.
Quand on a faim, on tourne les yeux vers l'intérieur.
Les romans, c'est de la merde. Il n'y a rien là-dedans, ni vérité, ni mensonge. Juste du vent.
Même l'homme le plus insignifiant est un trésor aux yeux de Dieu.
" Vingt-deux ans... Quarante- deux ans, soixante deux ans, quatre-vingt- deux ans, quelle différence? C'est la même chose, la même chose. Hier, j'avais vingt- deux an. J´étais assis là , sur ce banc, et j'attendais l'autobus. Pour aller au cinéma, ou pour acheter du papier à lettres dans les grands magasins. Etje ne pensais pas que ce serait comme ça, si vite. On appelle - On appelle ça une vie. Une vie! Ça n'a même pas duré une heure! Juste le temps d'attendre entre deux autobus... C'est vraiment-"
" Mais vous avez quand même-"
" Non, non, je n'ai rien fait! Tout ça est passé si vite. J'étais là, je suis ici...Il y avait- Il y avait tant de choses à faire encore... J'aurais pu- Je ne sais pas, aller à Vladivostok, par exemple, ou bien, j'aurais pu connaître des femmes, travailler, apprendre des tas de choses .Le sanskrit. La biologie, la cosmographie, la botanique, l'archéologie. J'aurais pu aller dans l'espace, ou lire les livres de philosophie . J'aurais pu avoir des centaines d'enfants, faire de la politique, vivres aux Indes, ou au Pérou. Je n'ai rien fait.Je n'ai pas eu le temps. Tout ça est passé si vite, cette vie, c'est difficile à croire...C'est comme si j'avais dormi, ou rêvé. Je suis né hier..."
Le petit garçon Chancelade vit que la jeune femme le regardait avec ses yeux brillants. Il essaya de sourire, mais à cause de sa bouche édentée, il n'arriva à produire qu'une vilaine grimace.
" Écoutez-moi", dit-il, et sa voix se mit à chevroter,"écoutez -moi- Je vais vous dire, pendant qu'il en est encore temps... Vivez chaque seconde, ne perdez rien de tout ça. Jamais vous n'aurez rien d'autre , jamais vous-" Il hésita un peu:" Jamais vous ne recommencerez ça... Faites tout ... Ne perdez pas une minute, pas une seconde, dépêchez-vous, réveillez-vous... Demain- Demain, c'est vous qui serez là, assise sur ce banc...C'est terrible, je- vous ..."
Je pensais qu'il n'y avait pas un seul endroit pour moi au monde, que partout où j'irais, on me dirait que ce n'était pas chez moi, qu'il faudrait songer à aller voir ailleurs.
Elle ne sait pas bien ce qu'elle doit dire, parce qu'il y a si longtemps qu'elle a même oublié comment était sa mère. Peut être qu'elle a oublié jusqu’au son de sa voix, jusqu'aux mots qu'elle aimait entendre alors?
...il y a si longtemps qu'elle ne se souvient même plus d'elle même.
Est-ce que le temps existe, quand quelques minutes suffisent pour tuer mille hommes, mille chevaux ?
Lalla marche encore le long du rivage, en chantonnant, toujours la chanson qui dit seulement un mot:
"Méditerra-né-é-e..."
Mais c'était le seul, le dernier pays libre peut-être, le pays où les lois des hommes n'avaient plus d'importance. Un pays pour les pierres et pour le vent, aussi pour les scorpions et pour les gerboises, ceux qui savent se cacher et s'enfuir quand le soleil brûle et que la nuit gèle.
le clan des Brun, ces Mauriciens au parler fort, au rire communicatif, dotés d'humour et de méchanceté, capables de tenir tête à n'importe quel discoureur, fût-il parisien
Cette faim est en moi. Je ne peux pas l'oublier. Elle met une lumière aiguë qui m'empêche d'oublier mon enfance. Sans elle, sans doute, n'aurais-je pas gardé mémoire de ce temps...
la mie aussi blanche que le papier sur lequel j'écris
Tout est possible. C’est ce que je voulais, je crois, faire tout ce qui est possible. En même temps, j’avais peur, j’étais au bord du vide, comme dans un rêve. Il y a l’étendue d’ombre, on peut tomber. On peut se perdre.
"Il convient de rester modeste sur la capacité des autres à vous comprendre."
Et moi j'étais celle qui n'avait pas de nom, pas d'âge, pas de lieu de naissance, j'arrivais là sur ce terre-plein comme une pelure poussée par la vague.