Anouk Schavelzon

On parle de la ceinture verte qu’il faudrait créer. Ceinture verte sur la petite ceinture, sur l’ancienne ceinture de fer. Ceinture verte pour recouvrir le périphérique. Ceinture verte pour un un avenir moins gris et moins chaud. Ceinture verte pour protéger la couche d’ozone, ceinture contre les ultraviolets.

La ceinture rouge garrotte la ville, cela fait longtemps que personne n’y fait plus attention, ne la discerne plus. La ceinture rouge a été oubliée. Pourtant, il y a plus d’un siècle, la ceinture rouge a été gourmande, elle a grignoté à grande vitesse le plus grand bidonville de France : la zone. La Zone, en bas des derniers remparts de Paris. Les briques rouges l’ont remplacée, ont délogé ses milliers d’habitants.
Aujourd’hui on parle de la ceinture grise, du tout gris, du béton gris. Béton souci.

Tu as aimé claquer la porte de la chambre, mais maintenant tu es coincée. Lorsqu’on claque une porte on est condamné à rester derrière un certain temps, on ne peut pas tout de suite la rouvrir. Il faut attendre. Il faut faire durer le moment de rupture, faire durer le silence. Sinon l’effet est gâché et l’amour-propre mis à mal.

«  Tu penses à demain .Demain. L’océan que tu aimes tellement.
Pas la mer chaude du Sud. L’océan froid qui mord qu’il vente ou qu’il fasse soleil.
Flotter en étoile , se laisser porter par le sel.———[
[ La vague t’avale et te balade , te faisant découvrir des postures que tu n’aurais pu imaginer seule, que tu ne retrouveras sûrement jamais » ]

France Inter est la bande son de vos meubles et quand vous n'êtes pas là les présentateurs, les animatrices et les invités des différentes émissions sont les véritables occupants des lieux.

Les origines, c'est une question
-Ce n'est pas que je ne l'aime pas-,
c'est une question un peu de notaire, vous voyez !
"Quelle est votre origine, d'où vous venez ? "
C'est la question posée pour établir la carte d'identité.
C'est très important en Afrique, bien sûr,
de savoir ... Moi personnellement, je trouve que c'est tellement exagéré.

«  Presque tous les continents dans mon arbre généalogique » , tu disais.
Fière . »

«  Dans la bouche des griots .
Des grillons ?
Non, des griots .
Qu’est que c’est un griot ? » .

«  Tu penses à demain . Demain. L’océan que tu aimes tellement .
Pas la mer chaude du Sud. L’océan froid qui mord qu’il vente ou qu’il fasse soleil.
Flotter en étoile, se laisser porter par le sel.
L’eau glacée grignote les uns après les autres tes membres qui ont brûlé la nuit passée ; au gré des vagues ,elle lèche ta figure face contre ciel » .

Dans le champ de lavande
La bouche grasse d’huile d’olive du grand-père paternel goûte la chaleur de l’été.
Des souvenirs qui n’existent pas sont recouverts d’un duvet vert-de-gris
Les feuilles de l’arbre frémissent.

Dans le lit, ton corps à toi a toujours refusé de se lever. Le haut du corps, voûté par une scoliose, repousse le matelas dans ses retranchements tandis que le bas, trop cambré, refuse tout contact avec lui.

Le corps se rapproche, il se colle, tu le sens qui se presse contre toi. Son souffle trop près, le filet de sa voix qui s’infiltre dans tes oreilles. Il dit quelque chose sur le métissage, sur les courbes de ton corps, sur son excitation qui grandit.

La carte de ton corps; la carte du monde.
Dans le regard des autres, tes yeux bleus de Russie, de Roumanie ou de France. Tes cheveux, un mélange de la France et du Niger. Tes fesses hautes, tes hanches pleines du Niger. Ton histoire, leur histoire à eux, Inna, Abba, Vito et Danièle, pour dire ton anatomie, pour expliquer le désir qui monte.

En haut de l'arbre, tout là haut dans les branchages, tu as écrit Abba : Niger, Inna : Algérie, Yacob : Argentine, Danièle : France. Surnoms ou prénoms des quatre grands-parents associés à leur nom de naissance.

Honte parce que ces images t'obsèdent, parce qu'elles reviennent comme le souvenir des phrases qu'il a prononcées dans le fumoir, de ces gestes, remonte à la surface de ta mémoire mais aussi chaque fois que tu te rappelles les phrases toujours les mêmes, qui te sont lancées ; les phrases de la rue, les phrases des bus, des terrasses de café, les phrases jetées à la volée et qui ont tout juste le temps d'atteindre tes tympans alors que tu traces ta route à vélo. Toujours ces mêmes voix, ces mêmes phrases qui te demandent d'où tu viens, d'où viennent tes cheveux, les transforment en un morceau de chair exotique et baisable que l'on emmènerait bien faire un tour à l'hôtel.

les spectres ne se taisent pas pour toujours.

Tu as aimé claquer la porte de la chambre, mais maintenant tu es coincée. Lorsqu'on claque une porte on est condamné à rester derrière un certain temps, on ne peut pas tout de suite la rouvrir. Il faut attendre. Il faut faire durer le moment de rupture, faire durer le silence. Sinon l'effet est gâché et l'amour-propre mis à mal.

«  Tu voudrais mettre en bouteille les odeurs pour les déposer en autel.
Odeur de lavande et d’huile d’olive.
Odeur de chocolat et d’amande ,
Odeur d’agrumes,
Odeur de beurre de karité exposé à trop forte puis trop basse température ,fondu et d’un coup resolidifié,
Odeur forte de cuir et de teinture bleue , presque insoutenable » . .

Tu ne cries que dans tes rêves.
Ne sait crier que dans tes rêves.
Quand tu ne dors pas, plutôt te mettre nue devant mille personnes que de crier devant elles. Ton cri nu est ce qui te fait le plus peur, peut-être parce que tu ne saurais pas comment l'arrêter.

Depuis cette soirée dans le fumoir, tu ne dors presque plus. Ta vie se partage entre les baby-sittings, les cafés, les bars, les soirées avec des amis et quelques rendez-vous Tinder que tu enchaînes sans jamais y croire. Depuis les mains de l’inconnu sur tout ton corps, tes nuits tu les passes en soirées, tes matins te servent à récupérer. Tout pour enfumer les souvenirs, les recouvrir de nouvelles scènes, qui toutes se ressemblent. Pour conjurer le mauvais sort, le mauvais œil. Danser, danser, danser, pour sentir le corps qui à nouveau t’appartient et s’abandonne en même temps.