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Ayant eu un véritable coup de coeur pour son roman « L'Art de perdre », je me suis volontiers laissé surprendre par ce texte qu'Alice Zeniter propose dans un tout autre registre. À l'origine, « Je suis une femme sans histoire » est en effet une commande de la Comédie de Valence à l'autrice (et comédienne) pour un spectacle seule-en-scène itinérant, finalement victime de la pandémie.

D'ailleurs, dès les premières lignes, Alice Zeniter installe un dialogue avec ses lecteurs en livrant une sorte de « one-woman-show » où la « professeure » s'adresse à son auditoire, tentant de démontrer l'impact important du récit depuis la nuit des temps. D'ailleurs, dès le début, on s'est fait berner avec ces peintures rupestres montrant l'homme des cavernes chassant le mammouth l'arme au poing alors que le gros fainéant passait 80% de son temps à cueillir des airelles. L'auteure s'amuse également à démontrer que la littérature a toujours été une affaire d'hommes avec des histoires les mettant en avant, de préférence lors d'actions conquérantes, tandis que la femme devait souvent se contenter d'un rôle secondaire d'adjuvant au coeur d'un décor masculin, à l'image de la Schtroumpfette ou des James Bond girls.

Intelligent, érudit et particulièrement didactique, « Je suis une femme sans histoire » se veut surtout extrêmement accessible grâce à une vulgarisation extrême des principes de la narratologie et de la sémiotique. En agrémentant ses propos d'exemples très visuels, elle parvient à livrer un récit non seulement pédagogique, mais également très drôle qui ne manquera pas de faire sourire les lecteurs.

S'il est bien de lire, cet échange complice avec Alice Zeniter vous permettra de mieux comprendre les rouages de la narration, expliquant notamment pourquoi l'on parvient à pleurer la mort d'un personnage fictif alors que l'on parvient à regarder le journal télévisé sans utiliser le moindre mouchoir…
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Un petit grand texte ou un grand petit texte (au choix... sourire ), qui est à l'origine une commande faite par la Comédie de Valence à Alice Zeniter, auteure et Comédienne ( elle le rappelle avec humour "j'ai obtenu mon Master 1 d'études théâtrales en 2007" ) pour un spectacle seule-en-scène itinérant.
C'est donc sous la forme d'une conférence littéraire et d'un essai que l'auteure nous fait un one-woman-show intelligent, érudit, pédagogique, plein de bonne humeur, drolatique sur le thème : nous sommes tous des êtres façonnés par des histoires... des êtres du de dicto plus que du de facto.
L'auteure conférencière essayiste instaure un dialogue entre elle et nous qu'elle introduit ainsi :
"Commençons, peut-être, par des présentations ( elles seront unilatérales car je ne peux malheureusement pas savoir qui vous êtes, vous êtes "vous" et c'est ainsi que je vais vous désigner dans ce texte ). de mon côté, je m'appelle Alice Zeniter, je suis écrivaine et pendant une centaine de pages, je vais vous parler du récit."
S'ensuivent des séquences de vulgarisation de sémiotique et de narratologie ( c'est éminemment didactique et instructif ) pour démontrer l'impact millénaire du récit sur notre imaginaire, sur nos représentations de ce que l'on croit être le réel... mais vous l'avez compris... qui n'est en fait que la somme des récits accumulés.
Récits dans lesquels l'homme a le premier rôle...« une bonne histoire, c'est l'histoire d'un homme remarquable qui fait des trucs – de préférence violents », affirme-t-elle.
La femme, elle, jouant le rôle secondaire d'adjuvant... pas d'adjudant ( je précise au cas où je serais lu par quelques misogynes...)
Et d'étayer son assertion par le début de l'histoire de cet homme "chasseur- cueilleur"... davantage chasseur que cueilleur.
Et pourquoi me direz-vous ?
Alice Zeniter nous explique à quel point, comment et pourquoi de ces hommes dont la nourriture était constituée à environ 80% du fruit de leurs cueillettes, n'est restée que l'image du chasseur.
"Ce n'est pas parce que la viande était cruciale que les chasseurs se sont imposés, c'est parce que leur histoire était meilleure. Si je vous raconte, par exemple, que j'ai passé ma journée dans les bois et que j'ai cueilli une airelle et puis une autre et puis une autre ah et encore une autre, dix airelles, vingt airelles... Ce n'est pas trépidant. Je peux bien sûr essayer d'y mettre un peu plus d'intensité : Aujourd'hui, j'ai cueilli une airelle ! Suivie d'une autre airelle ! Et soudain, je suis tombée sur un merveilleux coin à airelles, elles étaient rouges et brillantes, les plus belles de toutes les airelles, et moi je les cueillais par poignées et... Bon, autant l'avouer, même si je rajoutais du passé simple, des chiasmes et des homéotéleutes ( vous chercherez dans vos dicos... sourire ), il y a de gros risques pour que je vous ennuie. Mais si je vous raconte qu'un mammouth monstrueux a foncé sur moi ?
J'étais tapie dans une fosse gluante creusée pendant la nuit et quand il est arrivé tout près de moi, énorme et terrifiant, j'ai jailli d'un bond. Il a essayé de me donner un coup de défense, bim, parade avec le bâton. Deuxième coup de défense, balayette, clé de bras, je glisse entre ses pattes, je plonge ma lance dans son ventre. Il y a du sang partout, ça jaillit en torrent !
Là, bien sûr, j'ai plus de chances d'avoir votre attention. Là il y a de l'action, du conflit, un héros, c'est formidable. Mais c'est aussi un problème parce que ce type d'histoires n'est que l'histoire du héros.
À force d'entendre une histoire de chasseurs, on a oublié les cueilleurs et on a formé une sorte d'équation vie-viande qui ne provient pas des valeurs nutritives de la nourriture mais des formes séduisantes du récit."
Ce long essai démonstratif pour illustrer par ses qualités pédagogiques, didactiques, humoristiques et intellectuellement appropriées le ton de la conférence et les qualités de celle qui la tient.
Je ne vais pas vous détailler, vous décortiquer le reste de la démonstration d'Alice Zeniter.
Que je vous dise cependant que l'atelier d'écriture d'Aristote sur l'art de la poétique qui suit l'extrait auquel je viens de me référer est un pur moment de bonheur.
Le maître rend leurs copies à ses élèves. Un pseudo dialogue s'instaure entre Aristote, qui défend mordicus son art, et Périclès qui s'en est éloigné, trahissant le maître et transgressant des règles qui se veulent figées dans le marbre.
De là un petit tour, un petit cours... c'est jubilatoire et passionnant sur le schéma narratif avec ses quatre "étapes" : la situation de départ et l'élément déclencheur, les péripéties dans l'action montante, le point culminant, l'action descendante et la résolution. Ou son substitut, le schéma actanciel : le sujet qui "veut" l'objet, aidé dans sa quête par les adjuvants mais freiné par les opposants.
Vous aurez droit au BBF ( Black Best Friend )... je ne vous en dis pas plus... aux James Bond girls... et surtout... à ne pas manquer, dans le cadre de " l'homme remarquable", l'opposition entre la réception faite à "l'homme normal" que voulait incarner Hollande, et celle reçue, au début de son mandat, au "Mozart de la finance", au "président jupitérien"... Emmanuel Macron...
Dans "pleurer un personnage", l'auteure conférencière essayiste comédienne, nous explique pourquoi nous sommes capables de pleurer la mort d'un personnage fictif... ce que cela implique tant en ce qui concerne le processus d'identification, que le phénomène d'empathie, et naturellement la relation trompeuse entre réel et récit.
Car pour l'auteure, il n'est pas de doute... la fiction agit sur le réel.
Le récit, ce que l'on nous raconte impacte nos comportements... tel le montant de la dette qui angoisse plus de 80% des Français... la force des médias... et donc du récit.
NOTRE DETTE NATIONALE 10,567, 456, 564, 072 euros.
PART DE VOTRE FOYER 86,000 euros...
Entre vie quotidienne, littérature, poésie, théâtre, politique, place de la femme dans la société et par conséquent féminisme, Alice Zeniter par un propos brillant mais accessible à tous, enlevé, ludique, drôle et moqueur, un propos qui, pour ne pas lasser son auditoire, opte pour l'échange complice "est-ce que je ne vous ennuie pas ?", "arrêtez-moi, sil vous plaît !"... nous montre et nous démontre que notre réalité n'est rien d'autre qu'un mille-feuille de récits... dont la structure a peu changé depuis ses origines ; l'évolution passera par la conscience et notre volonté de faire qu'elle advienne.
Si elle fait appel à de grandes figures comme ( entre celles déjà citées ) Umberto Eco, Ursula le Guin, Frédéric Lordon, Arthur Conan Doyle, Lucy Ellmann, Toni Morrison, Borges et beaucoup d'autres... sa conférence essai ne rate aucune cible visée... sans agressivité, juste avec la précision de celle qui ne s'en laisse pas conter et qui nous raconte comment et pourquoi à notre tour nous ne pouvons rester dupes des ombres que nous regardons défiler sur le mur de notre caverne.
Pour ça, rien ne vaut une balade en forêt... une maïeutique sylvestre qu'elle partage avec nous et quelques hôtes illustres.
Pour clore ce petit bijou, Alice Zeniter nous livre sa bibliographie... encore une occasion de nous prouver à quel point il est possible de dire des choses sérieuses tout en autodérision.
J'ai adoré ce bouquin !
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Ce que j'ai ressenti:

Allez, n'en faisons pas toute une histoire, asseyez-vous, Alice Zeniter saura vous mettre à l'aise et je parie même qu'elle vous fera rire! Donc, asseyez-vous, (dans un train ou pas) et profitez du spectacle (oui parce que cette lecture c'est un hybride entre un essai, du théâtre, un « one woman show », ou encore un moment complice entre filles sans histoires…) et écoutez-la déconstruire le modèle du héros, nous donner quelques notions utiles sur la sémiologie ou la narratologie ou encore parler sans aucune langue de bois des classiques de la littérature…Sans doute, parce qu'elle est d'une franchise rafraîchissante et qu'elle donne des exemples avec un humour décapant, j'ai été complètement embarquée par son argumentation! Que c'est bon de rire autant en lisant! Non seulement c'est instructif mais quand c'est aussi bien emmené, je dirai que c'est encore plus percutant!

Donc Alice Zeniter nous parle du récit, de la fiction, de nos affectations, un peu de politique, de la culture et de la chasse, et surtout des personnages masculins, vous savez, ces mecs-qui-font-des-trucs dans les histoires…Mais que font les femmes pendant ce temps-là?!!!? On se le demande encore, mais grâce à Alison Beshdel et son fameux test, nous en avons peut-être une vague idée…(??!!)…Bref, nous le savons la sur-représentation masculine est une constante dans la littérature et Alice Zeniter voudrait que ça change un peu, et du coup, elle n'hésite pas à le faire savoir avec une ironie délicieuse…

Par chance, nous sommes dimanche, et j'ai bien envie d'aller me faire une promenade en forêt, mais une forêt bien spéciale, celle que Alice rêve avec ces Guérillères….

Alors Je suis une fille sans histoire également, mais je vais m'assoir à table et prendre le temps d'écrire, d'abord, cette chronique pour vous convaincre de lire cet essai, mais peut-être aussi ensuite, une histoire où des nanas-font-des-trucs, si l'inspiration veut bien être de la balade…Mais ça, c'est une autre histoire….

💥Une petite bombe à lire d'urgence💥
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Vous êtes né.e.s après 1980? Alors, c'est sûr, vous avez eu droit au schéma actantiel, le héros, la quête, les adjuvants, les opposants, et tout ça, glose universitaire introduite à grands coups de tatanes dans les programmes du primaire pour des motifs restés indéterminés à ce jour. Alice Zeniter nous le refourgue dans un seule-en-scène hilarant qui prouve que, si j'ignore à ma grande honte quel écrivain elle est, comme prof, en tout cas, elle est au moins championne du monde. La voici qui, pour notre plus grande joie, ressuscite ce bon vieil Aristote en train d'animer un atelier d'écriture, taclant une certaine Marguerite même pas fichue de mettre un minimum de suspens dans ses romans. Ce n'est pourtant pas bien compliqué d'imaginer une bonne histoire: début, élément perturbateur, péripéties, climax, descente, résolution; c'est pas plus difficile que ça et hop! Lect.eur.rice.s en transes ou en larmes, 10 000 ans que ça marche, pas de raison de changer.
Évidemment, la plupart des récits mettent en scène des héros actifs et beaucoup plus rarement des héroïnes. Comme Emma Bovary (suicidée), Anna Karenime (suicidée), la princesse de Clèves (recluse volontaire). On notera donc que dans les belles histoires de la littérature mondiale, les femmes sont non seulement moins nombreuses (voir la Schtroumpfette), moins centrales (voir Astérix) mais surtout nettement plus passives-agressives (puisque c'est comme ça, je me tue / je pars au couvent et vous allez me regretter bouhouhou).
Bref, horreur, on sait que les livres ont toujours été écrits par les vainqueurs, en l'occurrence par les chasseurs plutôt que les cueilleuses, ce qui signifie que tout ce qu'on nous a appris à l'école c'est à aimer la littérature patriarcale (encore que, grâce aux thuriféraires de Greimas, on ait aussi appris aux gamins à la détester - faut-il s'en réjouir ?).
Or, le pouvoir des histoires étant ce qu'il est, dans la bibliothèque rose comme à Hollywood, il est peut-être temps d'inventer un autre imaginaire.
Oui, on est d'accord, une telle objurgation ne casse pas trois pattes à un canard mais cette conférence théâtrale n'est pas un brûlot théorique : c'est une délicieuse invitation à réfléchir sur le féminisme, les métalepses et les notes de bas de page (tout ce que j'aime, en fait).
D'ailleurs, j'ai toujours pensé que la sous-représentation des femmes en littérature était un faux problème. de huit à quinze ans j'ai lu toutes les aventures des quatre mousquetaires et je sais depuis que D Artagnan c'est moi, bene pendantes ou pas.
En revanche, pour reprendre un exemple d'Alice Zeniter, depuis que vous avez commencé à lire ce billet, 20 personnes sont mortes de faim dans le monde (on rigole moins, hein?). Plus que la littérature patriarcale m'inquiète la littérature doudou, plaisir égoïste du reclus en sa tour d'ivoire.
C'est pourquoi il faut lire les 80 pages d' « une fille sans histoires », pour rire et s'interroger.
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Dans une collection qui porte bien son nom, « Des écrits pour la parole », Alice Zeniter fait paraitre aux éditions L'Arche, le texte d'un seule-en-scène qu'elle a écrit en 2020, titré d'une antiphrase : Je suis une fille sans histoire. le symbole du féminin qui habille le « o » de « histoire » annonce en partie le propos. Comme le souligne la quatrième de couverture en reprenant les mots de l'autrice : « Une bonne histoire, aujourd'hui encore, c'est souvent l'histoire d'un mec qui fait des trucs ». Eh oui, les récits, ce sont la plupart du temps des histoires d'hommes, même quand ce sont des femmes qui les écrivent (ou qui les filment). Certains des siens, avoue-t-elle, ne passeraient pas le test de Bechdel
***
Dans ce texte destiné à être dit, Alice Zeniter vulgarise certaines notions de narratologie en présentant avec talent et humour les schémas narratif et actanciel en faisant ressortir nombre de clichés dans les rôles trop souvent dévolus aux femmes. Elle présente aussi brièvement le triangle sémiotique et donne la part belle au grand Eco en mettant en valeur son humour et sa fantaisie. J'ai beaucoup aimé « Le Jeu de Sherlock Homes » où elle nous explique que la sémiotique peut permettre à un auteur de « lire » le corps. Plus loin, elle fait une brillante et amusante démonstration de l'objet sémiotique en prenant comme exemple le nom d'Emmanuel Macron, avec une bonne dose de deuxième degré. Une minuscule réserve : j'aurais apprécié un développement plus long sur le « pacte » de l'auteur avec le lecteur qui permet de comprendre, je crois, certains emballements comme certaines défections… Lisez ce texte : vous devriez sourire pendant une centaine de pages. Pas mal, non ?
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Un bien joli texte destiné à être lu en public
Surtout un texte court , pétillant , intelligent sans érudition inutile
Alice Zeniter maitrise son sujet, l'histoire de la narration à travers les âges, avec légèreté et humour
Exemple: quand elle parle de la place de la femme ( la fille sans histoire) dans le récit au cours de l'Histoire, elle n'y va pas avec de grandes envolées féministes revendicatives
Elle note, par petites touches, que depuis l'homme des cavernes, le récit préfère le héros actif (le chasseur de mammouth) au simple chasseur cueilleur , piètre héros de roman
Le héros c'est Ulysse , pas Pénélope
Le livre parle aussi de la poétique d'Aristote , d'Anna Karenine , Madame Bovary ou la Princesse de Clèves (en passant,quelles idiotes ces trois là),de sémiologie ou de narratologie, de test de Beschdel mais toujours sur un ton humoristique
J'ai beaucoup apprécié la notion de «  de dicto », qui dit que la plupart de nos connaissances accumulées viennent de sources orales absolument non vérifiées
Inutile d'en rajouter : un texte d'une grande subtilité qui nous instruit et nous fait rire en même temps
Que demander de plus?
Avec une telle plume, Alice Zeniter nous promet bien des plaisirs littéraires
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Ce texte confirme l'admiration que j'ai ressentie pour l'auteure en lisant "L'art de perdre".
Dans un tout autre registre, Alice Zeniter m'a une nouvelle fois emmenée dans son univers.
Un texte court, un monologue ayant pour objet la construction d'un récit et qui devait être lu devant un public.
Enfin plutôt un prétexte pour dénoncer le patriarcat, le pouvoir de la fiction et la puissance des mots.
C'est fin, drôle, cultivé, philosophique et accessible.
Oui tout cela dans un seul et petit manuscrit ; chapeau !
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Honnêtement, des histoires, qu'est-ce qu'on nous en a raconté ! On nous a même dit qu'elles étaient vraies, que c'était de l'Histoire, des Sciences même, qu'il allait falloir apprendre tout ça par coeur…
Et aucun d'entre nous n'aurait pensé à contester !
Tiens, prenons l'exemple de l'homme des cavernes : vlà l'beau mâle poilu, musclé, la lance au poing qui part chasser le mammouth pendant que madame-la-fragile cueille gentiment des chanterelles et des pissenlits… Avouez, vous y avez cru, vous aussi, hein ! Ben, c'est pas vrai, on s'est fait berner, on nous a raconté des balivernes. Vous me direz, ça ne va pas nous empêcher de dormir. Non peut-être, mais n'empêche que depuis le temps qu'on nous raconte ces histoires, elles ont eu le temps de nous façonner le cerveau ! On s'est habitué à l'idée que le rôle de l'homme est de s'activer, d'agir, de faire, tandis que les femmes, comme elles courent un peu moins vite et qu'elles ont peur de tout, il vaut mieux qu'elles ne s'éloignent pas trop du logis (et dire qu'on finira par les appeler des « femmes d'intérieur »).
Ces fadaises se sont même emparées de nos récits : celui d'une cueillette n'entraînant pas forcément un nombre incalculable de péripéties, il n'y a pas de place pour les filles dans nos histoires. En revanche, chasser le mammouth, waouh, c'est balèze, il y a de l'action, de la tension, on ne s'ennuie pas : « Une bonne histoire, aujourd'hui encore, c'est souvent l'histoire d'un mec qui fait des trucs. Et si ça peut être un peu violent, si ça peut inclure de la viande, une carabine et des lances, c'est mieux. »
On comprend alors pourquoi les personnages principaux sont essentiellement des hommes. Les femmes sont là pour le décor. Elles attendent patiemment le retour du héros : Ulysse se bat et Pénélope tisse.
Du test de Bechdel (permettant de mettre en évidence l'inégalité des sexes dans les récits) au schéma narratif (la notion de « péripétie » réservant la part belle au masculin), des affirmations « de dicto » que l'on avale tout cru (nos plus grandes certitudes sont en effet fondées sur un empilement de récits non vérifiables) à la notion de « machine affectante» (le pouvoir des médias impose un « récit dominant » qui va toucher et par là-même manipuler les esprits), Alice Zeniter montre comment se fabriquent les récits et analyse dans un essai vivant et plein d'humour les pouvoirs de la fiction.
Ça réveille, ça secoue… une vraie bouffée d'air frais ! Une chose est sûre : si nous changeons nos récits, peut-être changerons-nous aussi notre vision du monde et donc nos comportements.
Comme je suis lasse de ce monde ancien !
Lien : http://lireaulit.blogspot.fr/
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Essai court, ludique mais sérieux sur les propriétés de la narration telles qu'elles furent énoncées il y a fort longtemps par Aristote dans "La poétique", avec en prime des notions de sémiologie essentielles.

Le récit, depuis "la nuit des temps", nous dit Alice Zeniter avec humour, se construit avec un sujet actif (de préférence masculin : éviter les femmes et les esclaves, insuffisants à maintenir l'intérêt du lecteur), visant un but (un objet) et rencontrant sur son chemin des obstacles et des circonstances facilitatrices (les péripéties).

Voilà comment se construit au fil des textes la vision d'un monde partiel et amputé de l'Autre, de la nature, des paysages, des animaux. Un monde violent et guerrier qui forme notre imaginaire et finit par modeler notre réalité à travers de grandes épopées comme l'Iliade, Les mille et unes nuits, Hamlet, Moby Dick, le seigneur des anneaux...

Est-il possible de façonner un autre type de récit, à l'heure où il est assuré que cette poursuite héroïque conduira à coup sûr l'humanité à son crépuscule ?

L'auteure aborde également un aspect fascinant de notre rapport à la vie, constitué en majeure partie de textes : scientifiques, mythiques, sociaux, compte-rendus, statistiques, sur lesquels nous sommes forcés de fonder nos opinions, puisqu'aucun de nous n'a accès à la possibilité d'en vérifier les sources.

Alice Zeniter prouve excellemment que notre réalité est construite sur un empilement de textes non vérifiés, autrement dit sur des croyances. Les opinions auxquelles nous tenons tant ne sont que les filles de ces croyances.

D'autres sujets sont abordés aussi. Il s'agit là d'une excellente initiation pour ceux qui ne sont pas familiers de ces sujets. Impossible d'en dire davantage en aussi peu de pages (99).
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Jouissif, humoristique tout en étant très sérieux.
Cela m'a fait un peu penser à l'exoconférence d'Alexandre Astier.
Je ne suis pas spécialiste de la narratologie ni de la sémiotique, je ne savais rien, ni des homéotéleutes, ni des métalepses. Je n'avais jamais entendu parler du test de Bechdel qui permet de repérer la place des femmes dans une fiction. J'ai appris beaucoup et découvert l'humour et la culture d'Alice Zeniter et je suis fan.
Ça commence par l'histoire d'un mec, normal, blanc, comme dirait Coluche, ce mec va faire des trucs, c'est mieux si c'est bien viril, alors que s'il regarde l'eau couler sur le pont de l'Alma, le lecteur risque de se lasser. Mais s'il plonge pour aller sauver une femme en train de se noyer, là c'est bien, elle va mettre en valeur le mec, c'est ce qu'on appelle le « syndrome de la Schtroumpfette ». Elle nous explique par quelle prouesse, les écrivains arrivent à nous faire pleurer avec des personnages de fiction après avoir en quelque sorte signé un pacte avec le lecteur. On y trouve de nombreuses références, depuis Aristote, en passant par Umberto Eco ou Frédéric Lordon. On y parle d'Emmanuel Macron, de Flanby, le président normal, des médias, des affects dans la politique.
Un texte destiné à être lu sur scène.
Absolument passionnant !!

Challenge Riquiqui 2022.

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