Parfois, la rencontre se noue au premier regard sur la couverture.
Parfois, une image suffit à vous emporter dans un univers complet.
Parfois, vous saisissez un roman parce que vous faites confiance au nom de l'auteur.
Mais rarement vous ressortez aussi bouleversé par une lecture.
Voilà,
Sébastien Vidal vient de "m'avalancher".
Ce roman est une pure pièce de joaillerie, aussi travaillée que mille flocons qui s'assembleraient pour former le plus tragique des tableaux.
Le cadre est planté dès les premiers mots : un voyageur arrive avec son chien dans un village du bout du monde, perché en haut des Alpes, proche de la frontière italienne. Il amène la tempête avec lui. Parce qu'elle hurle de sa voix de blizzard en furie, et parce qu'elle se lève dans le coeur des hommes en quête de justice. Un corps vient d'être decouvert, celui de la fille du maire ; et un homme blessé est une bête dangereuse. Surtout quand elle a une proie sous la patte.
"Contrairement aux humains la douleur n'a pas besoin de dormir, elle est à l'ouvrage à chaque seconde, tant que sa cible est vivante, elle vit et mâche, déchire, lamine avec une patience qui décuple sa force et son endurance. Et elle rit de son labeur, parce que, luxe suprême, quand sa proie est morte au bout d'une interminable agonie, elle se transmet aux proches et peut continuer son oeuvre d'élision. Seule la parole peut la tuer, mais quand il en bave, l'humain se mure souvent dans le silence et bâtit ainsi son propre tombeau."
Ce roman est une nouvelle perfection de la main de l'auteur : je ne saurais dire quel est l'écrin, et quel est le bijou. L'intrigue est simple et d'une justesse redoutable ; la description du tableau humain est sans concession, une observation rigoureuse des imperfections de l'âme ; les nuances de blanc, gris et noir sont sublimées ; et les mots de l'auteur allient tous ces ingrédients apparemment simples pour en faire une recette majestueuse.
Je me suis prise plusieurs fois à comprendre les salauds de l'histoire, tant la mise en abîme est habile. Parce que les salauds ne manquent pas, dans ce village sclérosé, replié sur lui-même, en plein délire autophage. A leur tête, le Maire, Basile Gay, qui nourrit les hommes, à la fois par le travail dans son usine, et par la haine de l'étranger. Mais les membres de la meute ne sont pas en reste.
Et enfin, l'amour de l'autre, la richesse inouïe de
Sébastien Vidal pour décrire son ouverture à la vie qui palpite dans un autre être, se révèle avec énormément de générosité dans les descriptions auxquelles j'ai été immensément sensible : celles de l'homme et de son chien ; fidèle, patient, protecteur et vivifiant. Oscar s'ajoute à ma liste de chiens litérraires aimés et animés par les auteurs.
Je garde une émotion particulière pour la Neige et le Vent, qui sont bien les personnages principaux de cette histoire, bien décidés à deployer toutes les danses possibles pour les spectateurs captifs du village. C'est un opéra unique qui se déploie à chaque minute, le chant s'alliant au geste avec brio. La partition se déroule sur 242 pages, et la symphonie résonne encore à mes oreilles.
"Comme un fol hirsute marchant dans la rue avec une cloche et un écriteau pour annoncer la fin du monde, le blizzard lance des incantations sur la montagne. Il pèle les contreforts, cisaille des arbres et cloue les rêves au sol. Sa puissance tue dans I'oeuf toute volonté d'opposition, il est vif, véloce, il peut deraciner un sapin comme on arrache un brin d'herbe. Il plane très haut sur les massifs, hors de la vue humaine il râpe les sommets et décapite leur coiffe de neige glacée en hurlant dans les aigus. Tout ce qui vit au-dehors est soumit au joug du vent déchaîné, et chaque animal attend, en boule dans le moindre abri, que la colère d'Éole faiblisse. Sa voix lugubre et omniprésente sape le moral des trois assiégés, parce que c'est ce qu'ils sont, des assiégés. Sa mélopée a des allures d'oraison funèbre et Marcus a de plus en plus l'impression qu'elle s'adresse à eux."
Si vous me demandez de quoi traite ce roman, je vous dirai facilement qu'il parle de la folie des hommes et de la beauté de la nature, qui les regarde faire d'un air navré. Je vous dirai aussi que c'est l'un de mes plus beaux coups de coeur, toutes périodes confondues. Rarement le nom de la maison d'édition aura aussi bien collé à un roman pour moi : il y a le Mot, et le Reste palpite encore bruyamment en moi.