Captivée par la plume de l'auteur dans son dernier roman,
P.R.O.T.O.C.O.L, j'espérais retrouver ce plaisir avec son précédent roman, Charognards, dont le mystère m'attirait. Il semblait s'apparenter à un remake des Oiseaux d'
Hitchcock. On lit finalement le journal d'un homme qui, jour après jour, voit de plus en plus de corbeaux autour de chez lui. le récit de cette invasion d'oiseaux noirs, considérés comme de mauvais augure, voire présage de mort, est alors censé installer une ambiance angoissante : celle de l'invasion chaque jour plus grande de ces vautours qui rôdent, tandis que la population alentour disparaît. La population, sauf le narrateur qui ne sait pas bien lui-même pourquoi il est resté au lieu de fuir, qui se demande chaque jour si ce phénomène est paranormal ou pas, qui va jusqu'à se demander pourquoi il écrit ces faits paraissant ne mener nulle part, et s'interroge sur les intentions malignes ou bénignes de ces charognards, qui envahissent sa vie comme un cancer, la teintant de leur noirceur.
Alors le lecteur pourrait s'interroger, lui aussi : Se demander si ce que raconte le narrateur n'est pas une métaphore pour cette maladie, le cancer, qui le ronge petit à petit et grignote sa vie. Ou s'il ne lit pas en réalité le journal d'un homme atteint d'alzheimer, dont les souvenirs sont rendus incertains par la maladie qui détruit tout. le lecteur pourrait vouloir y voir, encore, une métaphore sur la fin du monde par la disparition du langage, ou bien l'écriture d'un scenario. le lecteur est même, pourquoi pas, enclin à se demander si le narrateur n'est pas tout simplement devenu fou (après avoir commis des faits traumatiques suggérés), tout pour que, par pitié, cette lecture ait, au bout du compte, une purée de sens. Et le lecteur pourrait trouver ça chouette ce suspense, cette quête de la vérité, d'être tenu en haleine.
Mais la lectrice que je suis, prisonnière de la forme, ne peut pas envisager sérieusement tout cela. Car l'auteur nous a collé en introduction un texte digne d'Enig Marcheur - et ceux qui me lisent savent à quel point ce n'est PAS un compliment de ma part ! - nous expliquant dans une langue, irreproduisible ici, que ce journal a été retrouvé par une civilisation future qui a tenté de lui restituer son état initial pour témoigner de ce passé. Exit donc toutes les métaphores médicales et autres interprétation du monde en général ; Exit aussi l'explication par la folie ; Exit la théorie d'essai sur le langage, malgré quelques beaux passages… parce que toutes ces hypothèses n'auraient pas vraiment de rapport avec cette intro, qui ne leur apporterait rien. Reste à trouver (à vous de jouer car il n'y a pas de fin) une plausibilité à la fin de notre monde à cause de corbeaux, qui expliquerait l'intro. Bon courage.
Trêve de suspense, je n'étais clairement pas le public pour ce roman : je n'ai été convaincue ni par l'histoire, ni par la forme (pourquoi les mots se baladent dans la page ?), et alors encore moins par ce mystère artificiel que l'auteur essaye de faire planer, et encore-encore moins par le fait que je n'ai même pas eu la récompense d'obtenir une explication finale, ferme et définitive (mais peut-être n'ai-je tout simplement rien compris car décroché avant). Et encore-encore-encore moins par l'ajout de l'introduction qui vient, selon ma perception, tenter maladroitement de justifier l'absence de fin. Ça m'a donné l'impression (toute personnelle) que l'auteur a commencé par écrire ce récit sans savoir où il allait, juste pour se faire plaisir en écrivant sur une ambiance ou des concepts, puis en bricolant une suite au fur et à mesure au gré de son inspiration, toujours sans parvenir à choisir un chemin où nous emmener vraiment (médical, surnaturel, etc.)… Et comme, vraiment, ça n'arrivait nulle part, il a collé un bout d'intro encore un peu plus artificiel annonçant un vieux manuscrit dont on n'a pas réussi à restaurer la fin des années plus tard. Comme ça, d'une pierre deux coups, il nous faire croire, qu'en fait, il savait où il allait depuis le départ, et que ce que nous lisons a un sens - à nous de le trouver et de faire le boulot de l'auteur en imaginant une fin.
En gros c'est un peu comme quand vous partez en ballade avec votre compagnon, qui en fonction de l'ambiance du jour décide de faire la rando en explorant les chemins qui l'inspirent sur le moment. Alors légitimement, dans un moment de un flottement directionnel, vous lui demandez : « heu, chéri, tu es sûr que tu sais où on va là ? » Et lui de vous répondre : « t'inquiète, je gère », tout en cherchant avidement les marques du GR censé nous guider, mais qu'il a un peu perdu de vue depuis un moment. Vous voyez de quoi je parle ? Vous la ressentez, cette sensation que vous allez devoir marcher des plombes sans voir le bout d'un ravitaillement, ni d'un lieu touristique, ni d'un beau point de vue qui donnerait du sens à ce que vous êtes en train de faire ? Cette sensation que vous êtes très probablement perdus mais que votre guide fera tout, y compris essayer tous les chemins croisés au hasard, pour ne pas vous l'avouer ? Si oui, passez votre chemin, ce livre ne vous plaira pas (et c'est une randonneuse qui adore les chemins de traverse qui vous le dit). Sinon, tentez votre chance ! Peut-être aimerez-vous vous laisser porter par les affres de l'incertitude. Ce livre plaira sûrement à des lecteurs plus ouverts que moi, plus imaginatifs, qui n'ont pas besoin que le livre ait un début, un sens et une fin. Et encore, ça ne fonctionnera que s'ils trouvent le récit prenant…
Pour ma part, je n'ai pas cru un instant à l'ambiance, que j'ai trouvée extrêmement fade, froide et vide (accrochez-vous, on fait l'inventaire des chambres ça dépote), ni aux tentatives de questionnements qu'on essaye laborieusement de nous arracher, avec certes de beaux effets de plume ici ou là. J'ai toujours été persuadée que pour écrire il fallait avoir quelque chose à raconter, et là je ne sais pas ce que ce livre raconte. Je suis désolée de ne pas avoir su apprécier cette lecture, mais je tenais quand même à expliquer pourquoi car ce qui déplaît aux uns pourrait bien plaire aux autres, comme le prouve la note honorable que recueille ce livre sur Babelio. Alors ne vous fiez pas à mon ton dépité : il est celui de la déception, qui n'a d'égale que mon immense admiration pour le dernier roman de cet auteur.
« Il y a dans cette histoire quelque paradoxe que tu ne parviens pas à résoudre. Pour commencer, les raisons qui t'ont poussé à écrire et tenir ces pages (…) »
(Ah, vous voyez ! C'est pas moi qui le dit, c'est le narrateur lui-même !! ^^)