Ce récit, très bien écrit et agréable à lire n'est pas un roman, mais une biographie de Ngo Van, un témoignage de cette courageuse génération d'ammanites qui lutta contre le régime colonial, et rejoignit le courant de la 4ème Internationale fondée par Trotsky. Ngo van raconte sa vie, son engagement, et les tortures subies dans les locaux de la Sûreté de Saigon. S'opposant au courant nationaliste, puis au courant stalinien, lui et ses camarades devront mener un double combat, contre le pouvoir colonial et en opposition au parti communiste indochinois et de son dirigeant Hô chi Minh.
Implantés chez les ouvriers de Saigon et les coolies, populaires dans les quartiers pauvres de Saigon ou d'Hanoï, les trotskistes, parce que leurs succès leurs faisaient de l'ombre, vont peu à peu subir la terreur stalinienne, en plus de la répression coloniale qui vit nombre d'entre eux mourir au bagne de Poulo Condor. Ngo Van, comme une poignée d'autres, devra son salut à son émigration en France en 1948, car à cette date, il valait parfois mieux tomber dans les mains de la police française que dans celle des staliniens.
Ce livre, écrit par un métallo devenu fin lettré, montre ainsi le vrai visage de ceux qui fondèrent la soi-disant République socialiste du Vietnam. Hô chi Minh et ses acolytes ont fait massacrer par dizaines (et même par centaines) cette génération de militants de la révolution internationale à laquelle ils aspiraient, et c'est une chance que l'un des rares survivants ait pu rétablir la vérité.
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...A TOUS CEUX-LA et tant d'autres compagnons et compagnes de lutte, à tous ceux qui ont rêvé d'un monde nouveau libéré de l'oppression et de l'exploitation, serfs des rizières, esclaves des plantations, mineurs, coolies, journaliers, ouvriers et paysans, qui périrent dans l'anonymat, "combattants tombés dont personne ne tracera le portrait, personne n'évoquera l'âme".
« Il me raconte que le Viêt minh l'a emprisonné parce qu'il avait aidé les paysans à se partager les terres et les rizières de leurs exploiteurs expropriés. Il avait ainsi transgressé l'interdit 'promulgué' par le parti communiste stalinien, après son arrivée au pouvoir en août, de s'en prendre aux propriétés. Se trouvent avec lui d'autres sympathisants de La Lutte. (…) 'Comment ça se fait ? Vous étiez déjà en prison sous les français, et maintenant sous le Viêt minh vous y êtes encore ?' m'interpelle un vieux bonhomme. »
« En véritable 'singe' du procureur Vychinski au procès de Moscou, le stalinien Trân văn Giàù traite le trotskiste Lu sanh Hanh de 'chien enragé'. Ta thu Thâu essaie de calmer le jeu. Les staliniens acceptent de nous donner la parole et mes copains me demandent de parler pour le groupe. Vaille que vaille, je m'efforce d'expliquer comment le parti communiste français en faisant alliance avec les partis radical et socialiste, sous prétexte d'empêcher la montée du fascisme, a brisé l'élan révolutionnaire de la classe ouvrière après le formidable mouvement de grèves généralisées et d'occupations d'usine. ? Pour nous, c'est le Front populaire qui fait le lit du fascisme, en empêchant la mobilisation révolutionnaire, seule capable d'en venir à bout. »
« C'est le moment de l'échéance de l'impôt personnel et, dans les rues de Saïgon-Cholon, lorsque tous, coolies, ouvriers et employés nous rendons au travail, les flics nous traquent en nous réclamant les cartes d'impôt qui nous servent aussi de carte d'identité. (…) La capitation, appelée impôt personnel, qui frappe tout coolie ou paysan de dix-huit à soixante ans, est égale au produit d'un mois de son travail. Les pauvres, dénués de tout depuis la crise de 1929, ne peuvent plus s'en acquitter. Et en Cochinchine, selon le code de l'Indigénat, un simple retard de paiement est passible de prison et d'amende. »
« C'est ainsi que nous arrive avec retard la nouvelle foudroyante du premier procès, mis en scène à Moscou, des révolutionnaires de 1917. Nous sommes littéralement assommés, et bouleversés par ces auto-accusations abjectes, dix-neuf ans après la révolution. »