Que faire quand on se trouve face à une saga norvégienne moyen-âgeuse de plus de milles pages en trois tomes ? L'affronter tel un guerrier viking, de face, sans peur, droit dans les yeux et partir pour une traversée de plusieurs semaines, cela semble logique et parfaitement dans le ton, me direz-vous. Mais je n'ai aucunement l'âme guerrière et suit un pacifiste et me voilà donc arrivé au bout de ce troisième tome, tranquillement, alors que j'avais fini le premier en fin 2018.
J'ai eu par trois fois le même sentiment en me plongeant dans la prose d'
Undset : recevoir un coup de massue littéraire, me dire que cela risquait d'être assommant, avec l'enchaînement des plongées dans la psychologie complexe de personnages torturées et les description des paysages certes magnifiques de Norvège, mais qui en imposent eux aussi de tout leur poids. Et puis on se glisse dans les mots, on se fond dans les brouillards, on laisse ses pas imprimer la neige et on prend sa place avec le reste de la famille sur un bout de couche rudimentaire, on participe aux tâches quotidiennes.
Ce tome est tout particulièrement réussi. C'est celui de l'âge mûr et de la vieillesse de Kristin et des deux autres principaux protagonistes, son mari Erlend et son beau-frère et ex-fiancé Simon. L'occasion est régulièrement donné de revenir sur la vie de chacun et sur ce qui les a amené où ils sont arrivés. On ne côtoie que peu un Erlend toujours aussi fuyant, irresponsable mais touchant parfois dans sa force fragile. On accompagne surtout Simon et Kristin jusqu'au bout. Ces deux personnages que le sort n'a pas permis de se rencontrer se ressemblent pourtant tellement, dans leur honnêteté, leur rigueur, leur sens du devoir. Leur vie sera finalement gâchée par le choix initial de Kristin de suivre la passion plutôt que la raison, et il est intéressant de voir à quel point une vie peut dépendre autant d'un seul choix.
De très belles réflexions également sur la
maternité, sur la vie qu'on destine à ses enfants, sur les projections que l'on fait pour eux en fonction de leur ressemblance physique ou de caractère avec un de leurs parents ou aïeul. Là encore, tout est remis en cause par les choix individuels, par l'aveuglement dont on peut faire preuve quand on ne veut pas voir ce que les gens sont réellement. La construction du récit, de drame en drame, d'emportements en résignations est brillante.
Le seul bémol, relevé par de nombreuses critiques et qui pourrait paraître anecdotique s'il ne rendait pas la lecture si complexe, est lié à la galerie impressionnante de personnages secondaires et leurs noms si confusionnants. Les noms en -son (fils de) ou -datter (fille de) construits avec le prénom du père perdent facilement le lecteur, surtout avec des prénoms qui se répètent. Je ne sais pas si certaines éditions proposent une liste des personnages permettant de les resituer rapidement, mais je les recommanderais alors chaudement.
Mais l'essentiel est ailleurs, dans une plongée dans une époque et un pays dépaysants et tout à la fois dans des psychologies si proches de nous, car les questionnements fondamentaux restent les mêmes : regrettons-nous nos choix ? Sommes-nous aimés ? Méritons-nous ce qui nous arrive ? Pas besoin d'être un viking pour se lancer dans ce genre de bataille.